Le souci de l’efficacité économique a plusieurs origines : l’urgence de la situation et le contexte macroéconomique actuel et probablement à venir en sont peut-être les plus emblématiques. On pourrait rajouter que d'une manière générale, il vaut mieux éviter le gaspillage, et être efficace dans sa façon de gérer l'argent (en particulier l'Etat, puisqu'il s'agit d'argent public), et d'autant plus lorsque l'on a affaire à quelque chose d'aussi déterminant que le réchauffement climatique actuel.
La transition écologique ne peut être dissociée du contexte macroéconomique : contrainte budgétaire des acteurs économiques, fort endettement des acteurs publics et privés, croissance à venir hypothétique. Les capitaux, aussi abondants soient-ils actuellement0, vont probablement être de plus en plus difficiles à trouver et mobiliser au cours des années à venir.
Dans ce contexte, prendre des mesures (ou soutenir des mesures, dans le cas de l'Etat) qui ont un coût à la tonne de CO2 évitée faible, c'est à dire un bon ratio émissions de GES évitées par € nets actualisés (ou € investi) devient vital. Autrement dit, si je dois "perdre de l'argent" (par rapport à un scénario Business As Usual, qui ne tient pas compte des damage costs associés à l'absence de réduction des émissions) pour baisser les émissions de GES, autant en perdre le moins possible pour une quantité d'émissions évitées donnée, ou symétriquement éviter le plus d'émissions pour une perte d'argent donnée.
Dans un univers probablement en récession ou au mieux croissance faible, il convient de « la jouer fine » et de flécher les investissements aux endroits où ils seront les plus efficaces pour baisser la consommation d’énergies fossiles (double peine si on se trompe de choix : gaspillage d’argent -éventuellement public- et objectifs de réduction non atteints).
Il faut donc systématiquement faire une évaluation ex ante (terme économique de flambeur pour dire a priori/avant) de la pertinence supposée d’une action : toute mesure ou action, avant d’être effectivement entreprise, doit être évaluée à l’aune de cet indicateur.
Il faut et faudra donc compter, ça tombe bien, c’est ce que les ingénieurs savent faire, prétendument au moins. Nés pour mener, compter la monnaie.
Appliquer ce principe présuppose cependant d’avoir placé le projet de décarbonation de l’économie comme l’une des priorités nationales (puisqu'il y a d'autres enjeux, environnementaux notamment, que la seule réduction des émissions de GES, et que des arbitrages sont à réaliser).
Si l’on devait tenter1 d’expliciter ce qui découle de ce principe, en France par exemple, cela revient, en gros, à faire d’abord beaucoup d’économies d’énergie, via des modes de vie plus sobres et le déploiement de technologie bas-carbone (efficacité énergétique)2, puis à substituer les énergies fossiles par des énergies décarbonées (cette règle s’applique aussi pour beaucoup de pays développés).
Faire les choses dans le sens inverse ou sans classer par ordre de priorité les champs d’action (en d’autres termes, faire peu de cas de l’efficacité économique de ses actions), ce qui est dans une certaine mesure ce qui se passe en France notamment3, c’est prendre un risque qui se justifie difficilement.
Ça marchera peut-être, peut-être pas (autrement dit, les objectifs de réduction des émissions de GES seront peut-être atteints, peut-être pas).
Mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?
0 : capitaux abondants, et par ailleurs à la recherche d'investissements rentables. A. Grandjean parle de triangle des opportunités : épargne abondante, besoin d'investissement en infrastructures non satisfait, tensions sur les modèles économiques des investisseurs de long terme.
1 : comme déjà évoqué, les coûts à la tonne de CO2 évitée sont des estimations, il faut donc être vigilant et les prendre « avec des pincettes »
2 : pour être plus précis, dans le bâtiment, moins de m² par personne (i.e logements plus petits et/ou plus occupés), logements mieux isolés et moins chauffés (température de consigne plus basse), dans les transports, voitures moins grosses, avec des moteurs plus performants (mais les marges de manœuvre paraissent ici limitées, les moteurs étant déjà très performants), des taux d'occupation plus élevés, etc ; dans l’industrie et au sujet des produits manufacturés, cela revient à moins consommer et consommer des produits éco-conçus, low-tech plutôt que high-tech (donc plus facilement recyclables)
3 : les politiques de tarif de rachat des ENR électrique ont des coûts à la tonne de CO2 évitée élevés, l'électricité française étant déjà faiblement carbonée