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Transition énergétique : qu'est-ce que cela signifie?
Drôle de question, alors même que ce terme est maintenant couramment employé, et qu’en France une loi est parue sur le sujet en 2015 (on n’a quand même pas pu s’empêcher d’y rajouter « pour la croissance verte », c’est grave docteur ?).
Pourtant, à entendre ou lire les propos de personnes ayant trait à la transition énergétique, la réponse à notre question de départ ne semble pas si évidente : chez certains, transition énergétique rime avec énergies renouvelables, chez d’autres décentralisation, chez d’autres encore réseaux intelligents, changement climatique, économies d'énergie, etc., et le plus souvent un peu de tout ça.
N’avons-nous pas tendance à confondre moyens et fins ? Sommes-nous bien sûr que les moyens évoqués sont les plus efficaces pour parvenir à nos fins ? Mais d’ailleurs... avons-nous seulement les idées claires sur ces fins ?
Cet article a plusieurs buts : d’abord, celui de tenter de montrer qu’il est indispensable de hiérarchiser ses priorités (surtout pour un être humain vivant sur Terre en 2017), ensuite, celui d’expliciter ce que devrait être à mon sens la (ou plutôt une) façon de faire permettant de hiérarchiser à un niveau macroéconomique.
Enfin j’essaierai de positionner la décarbonation parmi les différents objectifs que l’on peut avoir en tête, au terme d’une succincte et très partielle comparaison. Je conclurai en donnant quelques principes qui je pense devraient guider la déclinaison intelligente des moyens visant à atteindre un objectif.
Le programme est dense, c’est parti.
Pourquoi hiérarchiser ?
Commençons par rappeler cette banalité. Nous faisons continuellement des choix : notre action à un instant présent répond à un objectif que l’on a jugé plus "important" que d’autres, au terme d'une réflexion de plus ou moins grande qualité (éventuellement, lorsqu'on est motivé, via une analyse coûts-bénéfices, pas nécessairement établie en termes monétaires). On décide ainsi de faire ceci plutôt que cela, d’aller à tel endroit au lieu de tel autre (on ne peut en effet être à deux endroits à la fois, vous ne le saviez pas ?). On choisit de dépenser son temps et son argent d’une manière, et pas d’une autre, et de façon irréversible.
L'exclusivité et l'irréversibilité de nos actions, dont on tend parfois à minimiser l'importance, semble-t-il, sont des éléments clés nos réflexions.
D’un point de vue économique, la croissance des revenus (reflétée par la croissance du PIB) nous fait perdre la sensation des notions d'irréversibilité et d'exclusivité : elle introduit un biais cognitif. En effet, si notre revenu augmente, le surplus de pouvoir d’achat obtenu nous permet de faire « plus de choses » que lors de la période précédant la généreuse hausse accordée par notre patron : on peut alors éventuellement (suivant la valeur du surplus de pouvoir d’achat) faire l’un et l’autre, et pas l’un ou (exclusif) l’autre. C’est le miracle de la croissance, on touche presque au don d’ubiquité.
En revanche, dès lors que nous nous trouvons en période de stagnation économique, ce qui est le cas actuellement (et il y a fort à croire que cela se poursuive dans les années à venir ; au-delà de tout débat sur l’éventuel lien entre énergie et PIB, les tendances de fond indiquant bel et bien un ralentissement structurel de la croissance mondiale), ou pire de récession, le ou reprend le pas sur le et. On ne peut dépenser son argent deux fois sans générer d’effet d’éviction, sans qu’une dépense ne se fasse au détriment d’une autre : il s’agit alors véritablement de décider de faire l’un plutôt que l’autre. Retour à la vraie vie.
Hiérarchiser ses actions, dire ce qui est prioritaire et ce qui l’est moins, est (ou redevient) indispensable dans ce type de contexte, tant pour les agents microéconomiques (si le PIB baisse, les revenus –resp. la valeur ajoutée- de chaque consommateur –resp. entreprise- baisse, toutes choses égales par ailleurs) que pour l’Etat (si le PIB baisse, les ressources de l’Etat, basées pour beaucoup sur des flux -TVA, impôts sur le revenu, TICPE, taxe carbone !, etc.- diminuent aussi, toutes choses égales par ailleurs).
Ne pas faire de hiérarchie, ou en faire une et ne pas la respecter, c’est alors prendre le risque qu’aucun des objectifs ne soit atteint. Faire une hiérarchie foireuse, c'est prendre le risque que ce qui est véritablement prioritaire ne soit pas atteint.
Cet exercice, celui de faire des arbitrages au niveau macroéconomique, est par nature ingrat, puisqu’il impose de dire que tout le monde ne sera pas (immédiatement) gagnant ! Mais sa grande vertu est de nous inciter à mettre toutes les chances de notre côté, du côté que l’on juge bon, et ainsi de limiter le risque de ne satisfaire aucun des multiples objectifs que nous nous sommes fixés. Dans les faits, pour un citoyen, cela revient notamment à dire l’usage que l’on fait de son temps libre et de son argent (consommation, investissement, épargne, etc.). Au niveau de l’Etat, cette hiérarchie est lourde d’implications : elle guide la régulation, la réglementation, les investissements publics, la politique fiscale, l’ouverture au commerce international…
L’étape logique qui suit consiste à déterminer les critères qui permettront de procéder à la hiérarchisation d’objectifs.
Comment hiérarchiser?
Du point de vue macroéconomique ou de l’intérêt général, les critères ou principes fondamentaux sont, à mon sens : maintenir la paix, et respecter la devise nationale -liberté (adossée au principe cardinal : la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; la régulation et la réglementation ont pour objet d’essayer de corriger les défaillances de marché, et en particulier de viser à la préservation nos biens communs), égalité (les seules inégalités pouvant être tolérables sont celles exclusivement liées à des différences de mérite, bon courage ensuite pour arbitrer entre ce qui relève du mérite ou non; la redistribution a pour objet d’essayer de limiter les inégalités injustifiables entre citoyens), fraternité.
Est considéré comme objectif macroéconomique ce qui est censé avoir un effet positif (ou éviter une dégradation) sur l'ensemble de ces critères (on ne hiérarchise pas entre liberté et égalité par exemple).
La valeur d’un objectif est estimée en regard des critères établis (l’objectif visé contribue-t-il à maintenir la paix ? A garantir un meilleur respect de la devise républicaine ?) de manière qualitative et quantitative (à l’aide de différents indicateurs –taux d’emploi de la population active, inégalités de revenus, de patrimoine, etc.), en gardant en tête "la portée légitime" et l'"apport exact" de la statistique.
Les marges de manœuvre ou temps de réponse (y a-t-il urgence à atteindre cet objectif ?) et la puissance des irréversibilités en jeu (si je n’atteins pas cet objectif à telle date, pourrais-je le faire à une date ultérieure ?) sont également des éléments déterminants à prendre en compte lors de la hiérarchisation.
On peut d’ores et déjà définir un certain nombre d’impératifs, autant d’objectifs prioritaires, non négociables et intemporels, parmi lesquels : le plein emploi, l’absence de pauvreté, l’absence d’inégalités injustifiables, le vivre-ensemble (qui inclut la "sécurité"), l’accès aux services publics, aux soins, à l’énergie, etc.
Procéder à la hiérarchisation
Je me contenterai d’une (très) brève comparaison coûts/bénéfices macroéconomique de trois objectifs qui font écho à l’actualité politique (décarbonation, iconomie, sortie du nucléaire), en regard des critères mentionnés plus haut.
Avant d’aller plus loin, insistons sur le fait que l’objet de cette étape est bien de hiérarchiser des…objectifs (macroéconomiques). Les trois précédents mentionnés en sont bien puisque l’état d’arrivée est clairement déterminé (respectivement réchauffement climatique limité à 2 degrés en 2100, économie informatisée efficace, et mix énergétique sans nucléaire).
Avant d'aller plus loin, précisions d'emblée que la "croissance" ne peut être un objectif macroéconomique. La croissance peut éventuellement être un objectif personnel (c’est le libre choix de chaque citoyen d’avoir ou non pour objectif de s’enrichir, tant que cette liberté n’enfreint pas celle des autres). Au niveau macro, « l’objectif » croissance est plus gênant. C’est à mon sens une confusion des genres (micro/macro) : cela revient à s’immiscer dans les choix de vie des citoyens et leur imposer une orientation1 (donc aller à l’encontre du principe de liberté). La croissance macroéconomique peut en revanche possiblement être un moyen, au service de la lutte contre le chômage par exemple (mais là aussi, l’efficacité de ce moyen mis au service de la création d’emplois se discute -quel est le contenu en emploi de la croissance actuelle ?, sans parler des « effets secondaires » de la croissance actuelle -plus d’inégalités injustifiables ? plus d’impact sur l’environnement toutes choses égales par ailleurs ?).
Fin de l’incidente « croissance », et attardons nous un instant sur la décarbonation. Rappelons quelques ordres de grandeur.
1 : preuve par l'absurde, si "PIB = somme des revenus" doit augmenter, cela implique que le revenu d'au moins une personne doive augmenter et donc de fait impose l'évolution du revenu d'au moins une personne et fait perdre à cette même personne sa liberté d'action.
Décarbonation
La décarbonation a pour but de limiter le réchauffement climatique à « 2 degrés » d’ici 2100, ou autrement dit de respecter le budget carbone qui nous est alloué (nous avons droit au niveau mondial d’émettre de l’ordre de 900 Mds de tonnes de CO2 d’ici 2100).
Un changement climatique de quelques degrés de température moyenne correspond à un changement d’ère climatique. Combien de fois faut-il le répéter avant que ça percute dans nos petites têtes ? Il y a environ 10 000 ans au moment de l’ère glaciaire la température moyenne n’était plus basse « que » d’environ 5 degrés, et la population mondiale de l’ordre de 1000 fois moins importante que maintenant. Quelques degrés de hausse de la température moyenne d'ici 2100, c'est un changement massif donc, en outre brutal, irréversible, inédit. Chaque mot est lourd de sens et d’implications que je ne détaillerai pas ici.
Rappelons maintenant nos marges de manœuvre : tout est résumé dans le graphique que vous pouvez trouver ici. Au rythme actuel de 40 Mds de tonnes de CO2 émises par an, le budget carbone précédemment cité sera atteint … dans environ 25 ans (soit vers 2040, sans pouvoir ne plus rien n’émettre en net ensuite jusqu’en 2100 !). Si l’on veut respecter le budget carbone, il faut réduire de 5% nos émissions mondiales par an, tout de suite.
De deux choses l’une donc. Décarboner l’économie permettra d’éviter une dégradation certaine et très forte des conditions de liberté, d’égalité et de fraternité, et de préserver la paix … autant que possible (2 degrés de hausse ne signifie pas l’absence d’ennuis, c’est déjà un changement majeur). Nos marges de manœuvre sont par ailleurs très minces : l’objectif pourrait très rapidement ne plus être atteignable.
Y a-t-il d’autres « dividendes » associés à la décarbonation de nos économies ? On peut citer, à coup sûr : une amélioration très nette de la balance commerciale (importation des ressources fossiles de l’ordre de 70 Mds d’€ par an en France), moins de pollution atmosphérique (dont particules fines et oxydes d’azote responsables de dizaines de milliers de morts prématurées par an en France), résilience accrue et moindre sensibilité aux variations de prix des énergies fossiles, moindre dépendance envers des pays dont le comportement et le jeu d’acteur peuvent laisser sceptiques (Arabie Saoudite, Qatar, et d’autres). De façon plus incertaine, on peut citer : effet net sur l’emploi éventuellement positif (difficile à estimer), grâce à la relocalisation d’activités et l’amélioration de la compétitivité des entreprises (notamment si la hausse de la taxe carbone est compensée par une baisse des charges pour les entreprises).
Iconomie
Passons à l’iconomie, l’économie informatisée qui serait parvenue à l’efficacité et à tirer le meilleur du couple homme/machine : il s’agit de l’horizon de la transition numérique (ou phase d’informatisation de l’économie). Elle offre vraisemblablement de multiples effets positifs sur nos conditions de liberté (au sens où il y aurait moins de main d’œuvre et de métiers à tâches répétitives et plus de cerveau d’œuvre). Mais l’informatisation de nos économies s’accompagne aussi d’une possible perte d’autonomie et de puissance des individus –on perd de notre capacité à faire, au profit de la capacité à faire faire. Les effets nets sur l’emploi sont aussi difficiles à estimer (Michel Volle tente de dresser les conditions nécessaires pour parvenir à l’efficacité et donc au plein emploi –concurrence monopolistique régulée, le consommateur recherche le meilleur rapport qualité/prix, les risques de prédation sont maîtrisés, etc.).
L’informatisation améliore(ra)-t-elle la productivité du travail, ce qui pourrait par suite permettre de réduire le chômage ? Beaucoup disent que oui, les statistiques au niveau macroéconomique (productivité du travail, efficacité énergétique de l’économie, etc.) n’ont jusqu’à présent pas confirmé cette thèse : on ne perçoit pas de « rupture de pente » (que ce soit au niveau mondial ou au-sein des pays développés), c’est le sens de la formule «on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». La véritable « rupture de pente » perceptible au niveau macroéconomique est celle se produisant au moment des chocs pétroliers. Drôle de coïncidence ou symptomatique du puissant lien entre volume d’énergie consommé et PIB ?
Sortie du nucléaire
Pour terminer, évoquons la « sortie du nucléaire ». A nouveau, l’analyse sera très brève et je vais tenter de donner quelques éléments de compréhension que j’estime importants. Notre utilisation actuelle du nucléaire est de fait non-soutenable, ne serait-ce qu’en raison du caractère non renouvelable du combustible (avec les techniques actuelles). L’énergie nucléaire possède néanmoins quelques avantages : énergie bas-carbone (de l’ordre de 10 à quelques dizaines de kg de CO2 par MWh ), dont les importations de combustible ne grèvent pas notre balance commerciale (de l’ordre d’1 Md d’€ par an), et … sûre (combien savent par exemple que les risques sanitaires et environnementaux liés à l’accident de Fukushima sont faibles , comme l’affirme l’UNSCEAR ?).
Qu’est-ce qui est le plus impactant vis-à-vis de nos critères de départ ? Le fait de ne pas avoir (aussi rapidement que prévu) de voiture autonome ou le fait de ne pas avoir de transport bas-carbone (type voiture à 2L/100 km) ? Le fait de ne pas sortir de façon prématurée du nucléaire ou le fait d’avoir une électricité bas-carbone ?
J’entends déjà : « et pourquoi pas une voiture autonome et bas-carbone ?», ou encore « et pourquoi pas une économie sans nucléaire et sans fossile ? », voire mieux encore « et pourquoi pas une voiture autonome alimentée exclusivement par une énergie d’origine renouvelable ? ». Un peu à la manière d’un enfant trop habitué à être gâté qui dirait vouloir pour Noël ce jouet, et celui-ci, et pourquoi pas celui-là tant qu'à faire.
Il ne s’agit pas d’opposer a priori l’un et l’autre, mais de juger de ce qui est prioritaire et de ce qui l’est moins en regard de nos critères. On peut d’ailleurs discuter pendant des heures sur la faisabilité (technique, macroéconomique, etc.) de l’un et de l’autre mis en œuvre simultanément.
Mon propos est le suivant : nous devons prendre acte d’une part du contexte macroéconomique actuel et vraisemblablement à venir (stagnation séculaire, si ce n’est pas récession structurelle), et d’autre part des caractéristiques d’un réchauffement climatique de quelques degrés et de l’urgence à accélérer la transition si l’on veut limiter ce réchauffement à « 2 degrés » (-5% de baisse des émissions par an, pigé?). Il faut donc hiérarchiser, comme évoqué précédemment, puis suivre la hiérarchie établie, ce qui fait l’objet du point suivant.
L’Etat doit donc arbitrer (sale job) et pousser les jetons (les deniers publics) de façon préférentielle si ce n’est exclusive (dans le cas avéré où l'un et l'autre ne peuvent se faire simultanément) vers les voitures autonomes (la voiture autonome n’est ici qu’un exemple) ou vers les transports bas-carbone, et à mon sens, vers les seconds plutôt que les premiers.
Michel Volle, qui parle de l’informatisation de l’économie d’une façon plus pertinente à mon sens que tous ceux qui emploient quasi-compulsivement les mots Smart, Data, Digital, Disruption, dit de la transition énergétique qu’elle est une contrainte, à laquelle il faut répondre, mais qui ne constitue pas une révolution industrielle. Ok pour dire qu’il ne s’agit pas d’une révolution industrielle, la transition énergétique (et écologique) étant à mon sens plus une révolution idéologique et culturelle que technologique. En revanche, elle constitue bien un projet de société, au même titre que l’était la reconstruction de l’Europe post-seconde guerre mondiale : les caractéristiques du changement climatique rappelées brièvement plus haut, la place qu’occupe l’énergie dans nos sociétés et la vitesse à laquelle nous devons baisser nos émissions de GES (-5% par an au niveau mondial !) sont telles qu’il faut agir sur tous les pans de notre société et à un rythme de réduction nettement plus élevé qu’actuellement. Ce qui pourrait justifier qu’on lui attribue le qualificatif révolutionnaire est le « changement de braquet » nécessaire pour pouvoir respecter le budget carbone « 2 degrés » : l’intensité carbone de l’économie doit passer tout de suite d’une évolution quasi-stable d’une année sur l’autre (les émissions mondiales de GES en 2015 sont peu ou prou celles de 2014) à -5% par an (à population et PIB par habitant constant !, donc encore moins que -5% par an si l’on devient plus nombreux et plus riches). N’ayons pas peur des mots, à nouveau : résoudre l’équation de Kaya nous impose de mettre en place l’équivalent d’une « économie de guerre » au service de la décarbonation, c’est-à-dire de mettre tous nos moyens au service d’un même objectif (en respectant les autres impératifs mentionnés). Peut-on vraiment envisager autre façon de faire ?
Une distinction apparaît donc à mon sens entre :
De nouveaux impératifs non négociables, au même titre que ceux évoqués au début : décarboner l’économie, auquel on peut rajouter, limiter la perte de biodiversité, lutter contre l’artificialisation des sols et la déforestation,
Des objectifs d’ordres secondaires, moins prioritaires : on peut citer la réduction des dettes privées et publiques (il paraît assez clair maintenant que se fixer pour objectif la réduction de l’endettement dans le contexte actuel est contre productif –entraînant une hausse du ratio dette/PIB- et a un effet récessif voire déflationniste), la sortie du nucléaire (notons ici que la question de l’évolution du mix en France se pose en des termes particuliers puisque les réacteurs français approchent la barre des 40 ans d’exploitation, hypothèse théorique de durée d’exploitation –le Grand Carénage est le nom donné au 4ème réexamen de sûreté décennal), etc.
Suivre la hiérarchisation établie : rechercher l’efficacité et mettre ses actions au service des impératifs
Ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin… Une fois la hiérarchie établie, pour peu qu’on lui donne un peu de valeur, autant essayer d’en tenir compte !
Voici trois éléments fondamentaux à garder à l’esprit, selon moi :
Avoir le souci de l’efficacité économique, ou autrement dit, développer les moyens en fonction de leur efficacité vis-à-vis de l’objectif à atteindre (en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, investir par ordre croissant de coût à la tonne de CO2 évitée). Décentralisation énergétique, informatisation des réseaux énergétiques, ENR, nucléaire, économies d’énergie, etc. sont des moyens et non des fins. Ces moyens doivent être mis au service de la décarbonation de l’économie, et, en toute rigueur, l’acuité de leur déploiement est dictée par l’efficacité économique de ces moyens (qu’il s’agisse de technologie, de nouvelle organisation, gouvernance, etc.). Autrement dit, si baisser les émissions de CO2 est un objectif de premier rang, ai-je plutôt intérêt à investir ici ou là? C’est cette question qui doit être systématiquement posée, mais dont pourtant il semblerait que nous fassions souvent l’économie, sans mauvais jeu de mot ; et c’est la réponse à cette question qui est censée éclairer les débats de façon impartiale et préciser les moyens à mettre en œuvre. Il faut donc évaluer la pertinence d’un investissement prétendu bas-carbone à l’aune d’un indicateur tel que le coût (€ nets ou € investis) à la tonne de CO2 évitée (abatement cost). Et c’est pour ce motif d’efficacité, qu’en France, l’investissement dans les ENR électriques (de l’ordre d’au moins 100 euros la tonne de CO2 évitée) n’est pas des plus pertinents … en regard de la lutte contre le changement climatique. On entend parfois dire dans le petit monde de l’énergie : «l’énergie sera verte, digitale et décentralisée ». Je dirais plutôt : « l’énergie sera bas-carbone, c’est cela la condition première, et elle sera éventuellement, à des degrés divers, décentralisée, digitale, whatsoever, suivant l’efficacité économique de ces deux moyens mis au service de la décarbonation ».
Respecter les autres impératifs en tirant le maximum des projets à « co-bénéfice » /aux multiples « dividendes », c’est-à-dire des projets qui par exemple concourent simultanément à la lutte contre le chômage et la décarbonation (la rénovation thermique des logements en fait partie). Satisfaire certains impératifs entraînera parfois nécessairement une hausse des émissions (exemple de l’accès à l’énergie) : il s’agit dans ce cas de réduire les émissions par rapport à un scénario de croissance Business As Usual (cela fait écho aux Science Based Targets)
Investir (via la recherche par exemple) dans des projets de moyen/long-terme est discutable (je pense à des technologies telles que la fusion nucléaire, l’éolien flottant, la blockchain, etc.). Le budget carbone pourrait déjà être atteint au moment où ces technologies seront à même d’être déployées à large échelle ! Certes, ces mêmes technologies pourraient permettre d’accélérer la décarbonation de l’économie d’ici quelques années, une fois industrialisables et pouvant être massivement déployées. Mais n’oublions pas que nous courons contre la montre, et ce que cela implique. Que dirons-nous si, en 2035, après y avoir investi une partie de notre argent et de nos talents, ça y est, l’éolien flottant est mature, mais … le budget carbone vient d’être atteint? « Trop tard ! C’est con, à peu de choses près, ça aurait pu le faire ! ». Notre maison brûle, disait Chirac. La priorité est d’éteindre l’incendie, avec ce que nous avons sous la main serais-je tenté de dire : réfléchissons bien avant de mettre une partie de nos forces dans la conception de nouveaux extincteurs qui pourraient n’être opérationnels qu’au moment où notre maison n’est plus que cendres.
Conclusion
Assumons nos putains de responsabilités, signons le Manifeste, décarbonons enfin nos économies ou couvrons nous de honte.
Il y a eu le Grenelle en 2007, maintenant le Manifeste du Shift Project en 2017.
En 2022, l’objectif des 2 degrés pourrait déjà n’être plus qu’un mirage si rien n’est entrepris à la mesure du problème. L’élection présidentielle française est donc notre dernière occasion politique : ne tremblons pas et poussons de toutes nos forces pour que les années qui viennent soient couronnées de succès.