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  • guillaumecolin

Argumentation minimale et changement climatique

Dernière mise à jour : 27 juil. 2021


Devons-nous limiter nos émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) ? Bien sûr que oui, répondront probablement la plupart d’entre nous, faisant au passage remarquer qu’il s’agit là d’une question rhétorique.

Mais alors, s’il est si consensuel que nous devons « agir », i.e faire baisser nos émissions de GES à un rythme compatible avec l’accord de Paris (de l’ordre de -5% par an), alors pourquoi sommes-nous, tant au niveau micro que macro si éloignés de cet objectif ?

Mon point de vue à ce stade de la réflexion, déjà exposé sur ce blog, est que justement nous ne sommes peut-être pas si convaincus que ça de la nécessité de l’action au sens où elle a été définie ci-dessus, pas tant par véritable cynisme qu’en raison de notre ignorance et de l’effet de plusieurs biais cognitifs sur nos façons de penser.

Un certain nombre d’expressions couramment utilisés (« écolo », « catastrophiste », « pessimiste ou optimiste ? », etc., comme si la lutte contre le changement climatique était surtout une question de sensibilité) et de réactions (cf certaines, nombreuses, suite aux interventions de G Thunberg) tendent à me conforter dans ce point de vue.

 

Dans ce post, je vais essayer de montrer qu’il est possible de se convaincre de l’action de réduction des émissions de GES (et par la même occasion de convaincre ceux qui ne le seraient pas) à l’aide d’une très courte mais robuste démonstration. C’est ce que je qualifie d’argumentation minimale en faveur de l’action de lutte contre le changement climatique.

L’intérêt d’une telle argumentation minimale est essentiellement pratique.

Il s’inscrit dans une démarche d'altruisme efficace ou de contributeur efficace d’émissions évitées : réduire notre ignorance collective est probablement un prérequis nécessaire à la transition ; or la diffusion de la connaissance étant particulièrement laborieuse dans nos sociétés (citons les lacunes des formations initiales, la désinformation organisée par des groupes d'intérêt, les filter-bubbles d’Internet ou encore le traitement de l'information scientifique par les médias), chacun devra contribuer à son échelle à la sensibilisation sur le sujet, et doit donc être un minimum armé intellectuellement.

Etant minimale, cette argumentation n’apporte aucunement une réponse à toutes les questions qu’il peut être légitime de se poser (il y a pour cela d’autres ressources adaptées, par exemple les FAQ du GIEC, le site « skeptical science » ou encore Carbon Brief).

Elle peut permettre, lors de discussions (spontanées ou non, courtes ou non, avec des collègues, amis, etc.), d’expliquer rapidement et à mon sens de façon rigoureuse pourquoi « on pense ce que l’on pense » (i.e pourquoi on pense qu’il faut agir).

Cette argumentation minimale est une démonstration, rigoureuse à mon sens, de la nécessité pour toute personne éthique1 de réduire ses émissions de GES (plus précisément d’être aligné au niveau individuel avec l’accord de Paris).

 

La démonstration est la suivante, et étant courte évidemment chaque mot compte.

La connaissance scientifique sur le climat est synthétisée par le GIEC, qui réalise des revues de littérature et méta-analyses des publications réalisées sur le thème du climat : cela donne a priori une valeur épistémologique très élevée au GIEC.


Par ailleurs, les cinq rapports d’évaluation du GIEC ont été approuvés à l’unanimité3 par ses 195 Etats membres, dont des pays comme l’Arabie Saoudite ou les Etats-Unis : il est donc raisonnable de considérer ces rapports comme des références sur le sujet (la probabilité d’un « complot » international ou qu’une affirmation s’éloignant de ce que dit le GIEC ait une valeur élevée est extrêmement faible).

Le GIEC nous dit :

  • d’une part qu’en raison des émissions humaines de GES nous sommes sur la trajectoire d’un réchauffement de quelques degrés en moyenne, équivalent à un changement d’ère climatique (la température mondiale a varié de 5 degrés entre la dernière ère glaciaire et l’ère préindustrielle), inédit par sa rapidité et largement irréversible,

  • d’autre part que si l’on veut limiter ce réchauffement en-dessous de 2°C, nous disposons d’un budget carbone qui sera dépassé si l’on ne divise pas par 2 nos émissions mondiales de GES d’ici 2030 et si l’on n’atteint pas le net zéro (neutralité carbone) d’ici 2050, ce qui revient à faire baisser les émissions de GES de 5% par an, alors que celles-ci sont en 2019 toujours en tendance haussière.

Etant donné l’ordre de grandeur de ce qui est en jeu (changement d’ère climatique), ne pas "agir", est équivalent à jouer à la roulette russe et à défendre un principe de gestion des risques très difficilement justifiable.

Agir est probablement plus rationnel que ne pas agir, et en particulier nous devons veiller à ce que nos biais cognitifs ne nous poussent irrationnellement à ne pas agir.

Fin de la démonstration

 

Précisions

Place de la revue de littérature dans la hiérarchie de la connaissance

Il est raisonnable de placer a priori la revue de littérature au sommet de la hiérarchie de la connaissance.

Pourquoi le changement climatique en cours n’est pas une tragédie des communs ?

Le changement climatique n’est pas une tragédie des communs au sens où on peut parfois l’entendre (ou un problème de dilemme du prisonnier, notion équivalente).

« Ne pas agir » n’est pas un équilibre de Nash, ou dit autrement, en supposant que l’on soit égoïste, il n’est pas plus rationnel (et ça l’est même moins à mon sens) d’adopter un comportement de type free-rider/passager clandestin plutôt que d’être actif! On pourrait d’ailleurs argumenter que tous ceux qui l’ont affirmé (à tort donc) ont contribué à la déresponsabilisation (prétendant justifier la rationalité de l’inaction), donc à l’immobilisme et au final nous ont rapprochés du gouffre du changement d’ère climatique.

En effet, la perte liée à une inaction collective est équivalente à un changement d’ère climatique et est donc énorme (elle est sans borne supérieure). Etant donné l’ordre de grandeur de ce qui est en jeu, en agissant (et au prix de quelques sacrifices sans commune mesure avec la perte potentielle), je me donne au moins une chance d’éviter le pire, quand bien même ma contribution pourrait être annulée par l’inaction des autres. On en conclut donc qu’agir peut apporter plus de bénéfices que ne pas agir (mais il faut bien sûr que cette action individuelle ne soit pas la seule, autrement dit que d’autres agissent) : ne pas agir n'est pas un équilibre de Nash.

Pourquoi le choix de l’action n’est pas autant qu’on peut le dire une question de taux d’actualisation ou de valeur accordée aux générations futures ?

Il y a au moins deux raisons à cela : d’une part le fait que les générations actuelles vont maintenant ressentir les effets du changement climatique (ça a même déjà commencé), et par ailleurs, puisque l’on ne peut pas mettre de borne supérieure aux conséquences d’un changement climatique de plusieurs degrés, on peut argumenter que la balance coûts/bénéfices de l’action climatique (si tant est qu'on puisse en faire une) penchera toujours en faveur de l’action, quel que soit un taux d’actualisation >0.

1 : éthique, au sens ici d’une éthique utilitariste ou de l’éthique minimale de R Ogien (« ne pas nuire aux autres »)

2 : par exemple, être assez méfiant de ce qui peut se dire dans le groupe 3 du GIEC, cf https://www.youtube.com/watch?v=vwwvZ8g5eHE

3 : les derniers rapports spéciaux de 2018 et 2019 n’ont en revanche pas été « accueillis favorablement » par tous les pays, l’Arabie Saoudite notamment


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