L’objectif de ce post très critique est d’essayer de débattre théoriquement sur les méthodologies en vigueur de comptabilité carbone des entreprises -il n’est même pas question de juger la pratique de comptabilité carbone des entreprises, et de mettre le doigt sur des points qui me semblent être particulièrement problématiques.
Il ne s’agit bien sûr pas de dénigrer les standards actuels et développements qui ont été réalisés. Sans ces développements, nous serions très certainement bien moins avancés dans la lutte contre le changement climatique.
Si elle est à mon sens très insatisfaisante d’un point de vue théorique, l’approche retenue jusqu’à présent dans les standards a au moins le mérite d’une certaine forme de simplicité, d’une sorte de compromis bancal entre analyse du risque de responsabilité et du risque de transition.
En outre, il y aurait beaucoup plus à dire sur la comptabilité carbone des entreprises -et d’autres points embêtants à évoquer, mais ceux exposés durant cet article sont à mon sens peut-être les principaux.
La confusion fondamentale et quasi originelle entre calcul de contribution et de dépendance de la comptabilité carbone actuelle est à mon sens très problématique : elle rend en pratique quasi-inopérante l’analyse des risques de responsabilité (contribution) et de transition (dépendance) des organisations à partir de leur bilan carbone :
si l’objectif est d’évaluer la contribution carbone d’une entreprise, alors les standards actuels s’y prennent à mon sens très mal : les émissions calculées en suivant ces standards sont en première approximation indépendantes de la valeur ajoutée d’une entreprise dans la chaîne de valeur (proxy de la contribution) ; en effet, ,n’importe quelle entreprise acheteuse d’un produit doit comptabiliser la totalité (au sens des ACV) des émissions amont et la quasi-totalité des émissions aval,
si l’objectif est d’évaluer la dépendance au carbone d’une entreprise, alors là aussi les standards sont en partie défaillants : l’introduction de périmètres (ou scopes) entraîne automatiquement une perte d’informations majeure, et par ailleurs, le recours disparate à certaines clés d’allocation est une pratique contraire à l’évaluation d’un lien de dépendance physique.
Par ailleurs, l’absence de méthodologie de comptabilité carbone des services (hors financiers) est également extrêmement problématique à mon sens, du point de vue de l’évaluation de la contribution carbone et peut-être encore plus du point de vue de la dépendance au carbone.
Ainsi, la comptabilité telle que définie par les standards actuels est pour partie vidée de son utilité pratique. On ne peut pas tirer de conclusions formelles une fois le calcul des émissions terminé, tant du point de vue :
du risque de responsabilité : les biais évoqués nous empêchent dans un certain nombre de cas d’affirmer que telle organisation est plus contributrice au changement climatique que telle autre (en valeur absolue ou relative, i.e rapporté au chiffre d’affaires de l’entreprise par exemple), et dans quelle mesure. En tout cas, je serais dans un certain nombre de cas très mal à l’aise si je devais me prononcer sur une telle hiérarchie sur la base des émissions calculées par les standards,
que du risque de transition : l’utilisation de clés d’allocation est antinomique à l’évaluation de la dépendance au carbone, et par ailleurs les liens de dépendance au carbone ne sont qu’en partie captés.
S’agit-il de critiques sans importance et qui n’auraient qu’une faible incidence sur la comptabilité carbone ? A mon sens, non pas du tout :
comme déjà évoqué, nos économies sont dans bien des régions du monde en un certain sens tertiarisées : ce sont des économies de services où une grande part des acteurs économiques vendent, si ce n’est exclusivement des services, un ensemble de produits et services ;
la confusion actuelle des standards entre contribution et dépendance entraîne également des différences majeures de calcul, comme j’ai tenté de le montrer à travers quelques exemples.
Une clarification des objectifs poursuivis et un élargissement du périmètre d'étude (notamment, inclusion systématiques de services vendus) me semblent donc nécessaires pour rendre la comptabilité carbone réellement utile.
On pourrait imaginer différents cadres de comptabilité en fonction de l’objectif poursuivi :
Si l’objectif est d’évaluer la dépendance physique au carbone d’une entreprise (une partie du risque de transition), alors il ne devrait y avoir aucune clé d’allocation utilisée :
Si l’objectif est d’évaluer la contribution carbone d’une entreprise (risque de responsabilité), alors des clés d’allocation seraient systématiquement utilisées et garantiraient un juste partage des émissions entre contributeurs :
On passerait ainsi d’un unique cadre de comptabilité carbone aux objectifs flous, à plusieurs cadres de comptabilité répondant à des objectifs clarifiés.
Pouvez vous valider ce résumé que j'ai fait de votre article a destination des mes etudiants et clients entreprises ?
Mesurer non pas la variation d’émissions causée par les actions de réduction d’une entreprise, mais mesurer ce que seraient les émissions mondiales avec ou sans l’entreprise étudiée
1. Si cette entreprise a une activité plus verte que ses concurrentes qu’elle pourrait remplacer (elle transporte des légumes sur petite distance à la place de transports internationaux de produits industriels)?
2. Si cette entreprise de service facilite des activités à émissions (publicité, enseignement,…) même si elle n’émet presque rien
3. Si cette entreprise dépend d’activités carbonées même en faible proportion dans son scope 3 amont (un petit conteneur sur un porte conteneur…
Super votre article sur Compta Carbone qui confirme mes doutes sur le niveau d'exigence de ces outils. Version actuelle très "ingénieur classique XX eme siecle". Il reste à former des experts XXI eme siecle en "systèmie" et "economie de la fonctionalité".