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  • guillaumecolin

Peut-on encore sensibiliser au changement climatique?

Introduction

 

Peut-on encore sensibiliser au changement climatique?

Voilà une question que beaucoup trouveront sûrement provocante, la sensibilisation étant généralement vue comme un point de passage obligé de toute transition réussie vers des économies décarbonées.


Il faut sensibiliser et former, pense-t-on, puis une fois le sujet bien compris par des citoyens alors éclairés, nos problèmes environnementaux seront en voie de résolution.

Les plus sceptiques d’entre nous pourraient être tentés de nuancer le propos précédent en affirmant que la sensibilisation n’est pas suffisante, mais qu’elle est néanmoins nécessaire.


Peut-on néanmoins s’interroger sur l’efficacité réelle de la sensibilisation, de son impact en tant qu’outil devant contribuer à la décarbonation?

Est-on si sûr que pour accélérer la transition, nous avons vraiment besoin de plus de sensibilisation, voire même que nous avons besoin de sensibilisation … tout court?


Qu’on y pense un instant en effet : les messages scientifiques sont répétés à l’envie de manière quasi inchangée depuis plusieurs dizaines d’années, on ne compte plus les ateliers, médias et outils de sensibilisation sur le climat et l'environnement (qui donc en France peut affirmer ne pas avoir entendu parler du GIEC en 2023?), et les conséquences du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité deviennent telles que même les personnes les plus déconnectées ne peuvent plus faire semblant de ne pas voir.


Pourtant, on ne constate pas (ou très peu) de changements majeurs en termes de prise de conscience dans les enquêtes d’opinion ou orientations et priorités politiques, et le niveau de connaissance et compréhension du problème du changement climatique par la population française est en moyenne et en tendance stable.


Dès lors, la sensibilisation aurait-elle encore un sens?

En quoi ceux qui ne voudraient pas voir ou comprendre en 2023 (ou ne le voulaient pas avant) seraient-ils plus enclins à l’être grâce à la sensibilisation … maintenant?

Cette dernière n’est-elle pas un cache-sexe dont quelques gentils naïfs voudraient encore croire à l’efficacité?



 

L'efficacité décroissante de la sensibilisation?


Plusieurs éléments d'explication peuvent être mis en avant pour tenter de justifier l'efficacité questionnable de la sensibilisation :

  • Il y a probablement une certaine fatigue et lassitude face au constat du changement climatique. Tout a été dit et redit (du moins pourrait-on le penser) : le message scientifique est-il encore audible alors qu'il est répété de manière quasi inchangée depuis plusieurs dizaines d'années (les éléments scientifiques les plus saillants n’ayant que peu évolué) ?

    • Il y a une sorte de biais d’ancrage de l’anormal qui se met en place, quelque chose comme une règle d’inquiétude marginale décroissante d'un même problème. On est moins sensible au même message entendu la N-ième fois qu’on a pu l’être la première fois. La sensibilité perd en efficacité dans le temps (sous certaines conditions du moins, on en reparlera plus tard).

  • L’anormal et l’extraordinaire semblent devenir banals ces dernières années, entre pandémie mondiale et guerre en Europe. En s’ajoutant à la longue liste des problèmes existentiels et face à l'accumulation de mauvaises nouvelles, le changement climatique ne provoque plus l’effet de panique ou de réaction qu’il devrait rationnellement susciter.

    • En outre, la dissonance cognitive peut nous pousser dans le déni ou à nous tenir éloigner d’informations vues comme anxiogènes. On peut être tentés de moins chercher à s'informer sur des sujets sources d'angoisse, voire de croire à des théories farfelues que l'on considère rassurantes (par exemple croire que le changement climatique est mis en avant par des puissants cherchant à faire peur à la population, alors qu'en réalité le problème ne serait pas très inquiétant).

  • Les biais (cognitifs, de raisonnement) et le bruit informationnel (diversité des discours dans l’espace public) auxquels nous faisons tous face réduisent fortement les bénéfices attendus de la sensibilisation au changement climatique.

    • L'information scientifique pertinente sur le changement climatique se retrouve noyée dans l'ensemble du marché de l'information, duquel il est très difficile de s'extraire.

      • Il convient d'ailleurs de mettre le doigt sur la fabrication politique et sociale de ce bruit et de dénoncer (name and shame ou name and fame) le rôle de partis et personnalités politiques, de médias, réseaux sociaux (via leurs algorithmes de recommandation) et d’entreprises qui contribuent sciemment à pourrir le débat et l’information publique (fake et mute news).

    • L'enchaînement logique {sensibilisation → action} suppose que nous soyons dotés d’un esprit critique et d’une rationalité robuste, notamment pour pouvoir faire le tri entre les différents messages et récits contradictoires que l’on peut entendre. Une personne ayant suivi un atelier ou une formation au changement climatique n’est pas immunisée contre les discours de marchands de doute : elle doit avoir une méthode et des outils (bayésianisme) lui permettant de savoir ce qui est le plus probable entre différentes affirmations potentiellement contraires ou incompatibles. Comment savoir qui croire entre un baratineur vu un soir sur un réseau social et remettant en question la réalité du changement climatique, et l’animateur de la fresque du climat entendu un peu plus tôt dans la même journée? Pour pouvoir arbitrer, il faut être capable de hiérarchiser différents niveaux de preuve et avoir des connaissances minimales en épistémologie.

  • On constate de manière conjoncturelle un manque de confiance croissant de la population dans les institutions et les médias, ainsi que de la science. De manière parallèle, la montée en puissance de théories alternatives de type post-vérité limite également fortement l'efficacité de la sensibilisation.

  • La polarisation dans nos sociétés (protéiforme : géographique, sociale, générationnelle, morale, etc.) est en tendance croissante ces dernières années (en France notamment).

    • Les personnes du clan opposé sont moins sensibles au message porté par un clan opposé vu comme adversaire. La polarisation rigidifie les positions et opinions des clans qui s’opposent, favorisant ainsi l’inertie de nos sociétés. Il devient dés lors très compliqué de sensibiliser des personnes au changement climatique qui nous considéreraient être du clan opposé.

 

Quelles perspectives concernant la sensibilisation ?


Notons déjà que ce qui a été dit précédemment ne constitue pas une preuve de l’inefficacité de la sensibilisation (il ne s’agit pas d’expérience randomisée en double aveugle permettant de comparer le niveau de connaissance ou penchant à l’action de groupes ayant été ou non sensibilisés), tout au plus des éléments pouvant aider à comprendre les difficultés auxquelles nous faisons face lorsque l'on essaie de sensibiliser.


D'ailleurs, ne serait-ce qu'essayer d'évaluer empiriquement l'efficacité de la sensibilisation est très compliqué.

En effet, on tire des enseignements pour le moins contradictoires entre les différentes enquêtes d'opinion et l'évolution de leurs résultats dans le temps, que ce soit au niveau international ou national (l'étude de l'ADEME “représentations sociales du changement climatique” renvoie par exemple des résultats plus encourageants que celle d'EDF sur différents aspects ayant trait au changement climatique).



Que penser de ce schéma? Qu'on est péniblement revenu à un niveau de compréhension moyen pré-"Allègre/Courtillot"?

Ce graphique est en revanche un peu plus encourageant!


Par ailleurs, les enquêtes d'opinion semblent souvent relever de nombreuses ambivalences internes : il semblerait que l'on soit collectivement assez peu sachant sur le problème du changement climatique (voire mal informés), ... alors même que c'est un phénomène largement vu comme une crainte forte source d'inquiétude. On n'est plus à une contradiction près...


Le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat semble témoigner de l'efficacité d'une sensibilisation et formation poussée (de plusieurs dizaines d'heures) : ce groupe de personnes tirées au hasard et sans connaissances préalables plus poussées que la moyenne a formulé des propositions d'actions pour le climat très ambitieuses et pertinentes (y compris sur ... la sensibilisation et formation).


Aussi, je pense que beaucoup d'entre nous engagés dans la lutte contre le changement climatique avons en tête des exemples de personnes ayant fortement changé de comportements après avoir été sensibilisées.


Ouf! Mais que valent ces quelques exemples et témoignages?

Que dit la littérature scientifique sur l’efficacité de la sensibilisation au changement climatique?


Pour savoir notamment ce que dit le GIEC à ce sujet, rien de plus simple, il suffit de poser la question à Climate Q&A (solution développée par Ekimetrics et permettant via une IA conversationnelle de trouver des réponses basées sur les rapports du GIEC) ou à chatIPCC!


Déjà, l'importance de la sensibilisation est largement rappelée par le GIEC (“knowledge and awareness of climate change are correlated with the motivation to undertake action on climate change”, “Education and climate literacy contribute to climate change action and adaptation (high confidence.” ou encore “Integrating climate science in educational curricula has been shown to be effective, including approaches such as experiential climate change education and climate games (IPCC_AR6_WGII_Chapter17, Page:58).”


Disons le ainsi d’emblée ici pour lever tout doute : on a bien besoin de plus de sensibilisation ... mais pas forcément de celle à laquelle on a été habitués.

Il y a en outre un certain nombre de prérequis à satisfaire pour que la sensibilisation (re)gagne en efficacité.


Sur le fond, la sensibilisation doit être plus contextualisée et adaptée en fonction des valeurs, a priori, identité et idéologie des interlocuteurs (d'après le GIEC : “Education and tailored climate communication strategies that are respectful of people’s values and identity can aid acceptance and implementation of the local to global-scale approaches and policies required for effective climate change mitigation and adaptation”).

Banlieues climat est un très bon exemple d'adaptation du message climatique à des groupes de personnes (ici les populations de banlieues) pour qui le sujet peut sembler très éloigné des préoccupations quotidiennes.


La sensibilisation doit également être plus poussée : le contenu doit englober les fondements théoriques, les solutions (ENR, sobriété et efficacité énergétique, etc.), les blocages, les discours de l’inaction, les dimensions politiques et sociales du changement climatique, les biais cognitifs, etc.

Plus que de sensibilisation, il faut ainsi de plus en plus parler de formation aux différents ressorts du changement climatique.



Tous les différents médias et outils de communication doivent ainsi être mobilisés : ateliers pédagogiques et ludiques, humour, théâtre, séries, films, évènements culturels, blogs, vidéos de vulgarisation, livres, etc.


La multiplication d'ateliers, médias, et outils de sensibilisation et formation que l'on constate en France notamment est donc une excellente nouvelle!


Toujours sur la manière de communiquer, Parlons climat et Bon Pote résument de manière très claire l'état de l'art des recherches en climate communications.


En très bref, une communication efficace sur le climat doit :

  • prendre en compte les valeurs de ses interlocuteurs

  • comprendre des témoignages et récits concrets

  • être accessible, visuelle et relativement simple,

  • transparente sur le fait que la situation est alarmante, mais que des solutions sont à notre disposition,

  • être portée par une personne un minimum cohérente dans ses actes avec ce qu'elle dit,

  • Être plus incisive, convaincante voire piquante, sans être polarisatrice (pas facile).


 


Vouloir sensibiliser aux enjeux environnementaux et climatiques est donc tout à la fois indispensable, sain, tendance et extrêmement complexe.


Différents éléments externes affectent profondément l'efficacité des tentatives de sensibilisation.


Le principal prérequis à l'efficacité est probablement le besoin d'une régulation beaucoup plus forte du marché de l’information (médias, réseaux sociaux, etc.).


On l'a dit plus haut, l'information nous parvient de manière extrêmement bruitée et très souvent contradictoire via les différents canaux à notre disposition (en particulier les algorithmes de recommandation des réseaux sociaux).

  • Contrôler le capitalisme de l'information et limiter l'infoguerre est un prérequis indispensable, sans quoi vouloir sensibiliser au changement climatique (et à l'ensemble des sujets de société) est une entreprise vaine.

  • Les initiatives telles que Quota Climat ou Tournesol sont ainsi très utiles pour aider les citoyens à identifier et s'orienter vers les contenus les plus instructifs et de meilleure qualité.

Par ailleurs, plus que de sensibiliser, nous avons besoin de pousser à un engagement citoyen croissant.

  • Cet engagement doit se traduire à tous les niveaux : engagement professionnel (contribuer via son métier à la décarbonation de nos sociétés), personnel (avoir une empreinte carbone maîtrisée), associatif et politique, etc.

  • La lutte contre le changement climatique est bien plus une question de rapport de force que de nombre de personnes sensibilisées.

  • Il est intéressant de constater l’engagement croissant de nombreux scientifiques, qui s’éloignent d’une posture purement prescriptive, comme en témoignent le mouvement Scientist Rebellion ou la tribune critique de la stratégie carbone de Total.

  • Moins la sensibilisation sera efficace, et plus nous aurons besoin d’activisme, de désobéissance civile et d'autres formes de “participation politique non conventionnelle”. Il ne tient qu'à celles et ceux détracteurs de ces formes d'engagement plus radical de tout faire pour pousser à l'action via la sensibilisation!

  • Notons pour rappel que nous n'avons pas besoin d’atteindre 100% de personnes sensibilisées et actrices du changement (loin de là!), il y a des points de bascule au-delà de seuils bien plus bas. On peut continuer d'"avancer" alors même que certaines personnes (voire une majorité) sont réticentes au changement.

Enfin et peut-être surtout, nous allons avoir besoin de ... courage (et ce courage vise tout le monde, des décideurs -courage politique- aux citoyens).


Plus question ici de biais, de bruit, de niveau de connaissance, d'influence sociale, familiale, etc. ou de n'importe quelle excuse bonne à entendre et nous réconforter.


Mais c'est bien notre capacité (ou non) à prendre des décisions courageuses, parfois contraignantes, désagréables ou pouvant aller à l'encontre de quelques intérêts de court-terme, qui façonnera largement nos sociétés futures.


Si le savoir précède peut être l'action, c'est en tout cas la détermination et la volonté qui en seront le moteur, pour mettre en œuvre les réglementations, la sobriété, les investissements bas-carbone, taxer les plus pollueurs, résister aux lobbys, etc.


Soyons sensibilisés, mais surtout soyons courageux.

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