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guillaumecolin

5 degrés, ça vous parle?

Dernière mise à jour : 30 mars 2020


(mise à jour le 25/2/2019)

Introduction

Un changement climatique de 5 degrés, ça vous parle ? Ou dit de façon plus pompeuse, savez-vous ce que signifie, en ordre de grandeur, une élévation de la température moyenne du globe de quelques degrés ?

Le changement climatique étant maintenant –et heureusement- une expression commune, la question peut paraître dépassée, d’un autre temps. La plupart d’entre nous y répondront probablement du tac au tac : élévation du niveau des mers et océans, événements extrêmes plus fréquents et intenses –vagues de chaleur, inondations, etc. Ce type de réponse, qui consiste à énumérer certaines des conséquences possibles (et envisagées) d’un tel scénario, est insuffisamment précis pour appréhender la puissance du phénomène, au sens de ses possibilités.

Voici ce que signifie 5 degrés de variation de la température moyenne du globe : il s’agit un changement d’ère climatique. C’est par exemple la variation de température moyenne entre la dernière ère glaciaire et l’ère préindustrielle.

Cela a-t-il fait tilt? Regardez plutôt le schéma suivant.

Dans la longue liste des possibles justifications de la situation dans laquelle nous nous trouvons, celle où nous sommes en 2017 à quelques années d’avoir épuisé avec plus d’un demi-siècle d’avance le budget carbone 2 degrés0 du 21ème siècle (où sont les partisans de la rigueur budgétaire ?), notre ignorance globale du sens profond d’un changement climatique de quelques degrés n’aurait-elle pas la cote ?

Vous avez osé dire « ignorance » ?

Sommes-nous globalement trop ignorants de cet ordre de grandeur?

Mon postulat est que oui, l'ignorance, et plus précisément "l'ignorance simple" (comme la décrit brillamment Sylvestre Huet) de cet ordre de grandeur de la part d'une majorité de citoyens (en particulier ceux vivant dans des démocraties et ayant leur mot à dire dans les choix de la construction de la cité), est d'après moi un élément clé de compréhension de l'inertie actuelle et passée de la lutte contre le changement climatique.

Aucune statistique ni résultat de sondage spécifique pour appuyer cette affirmation.

Juste une sorte de conviction par l’absurde : celle que si une majorité de citoyens avait conscience de cet ordre de grandeur, nous serions bien plus avancés dans la lutte contre le changement climatique. Non pas que nous serions débarrassés de tous nos ennuis climatiques (ce serait trop simple, cf les biais cognitifs plus loin dans ce post !), mais au moins n’en serions-nous pas, je pense, à ce point proche du mur.

Qu’on y pense un instant : cet ordre de grandeur se suffit presque à lui-même.

Quelques implications directes et corollaires :

  • Nos sociétés ne pourront pas s’adapter à un changement climatique de 5 degrés d’ordre de grandeur. Period. Comment peut-on croire autre chose, sauf à croire par principe, a priori, que nos capacités d’adaptation sont illimitées ? S’il y avait 100 000 habitants en France il y a 20 000 ans au plus fort de l’ère glaciaire, n’est-ce pas que vivre sur une steppe glacée est un poil compliqué ? Un changement climatique d'une telle amplitude est ainsi synonyme d'effondrement de nos sociétés, accompagnée d'une baisse significative de l'espérance de vie et du nombre d'êtres humains sur Terre (qui se compteraient alors vraisemblablement plus en millions qu'en milliards).

  • Il ne peut pas y avoir de gagnants d’un changement climatique de 5 degrés. Pas plus les « riches » que les habitants de zones géographiques pouvant bénéficier de conditions climatiques devenant plus favorables pour l’être humain (Europe du Nord, Sibérie, etc.) ne seront gagnants dans la sale affaire. Tous devront entre autres désagréments gérer les migrations et le ressentiment des populations moins fortunées. Qui pourrait prétendre être "gagnant" de la disparition d'une démocratie (sauf à effectivement le vouloir), ce qui est vraisemblablement ce qui se produira en cas de changement climatique de qq degrés?

  • La lutte contre un changement climatique de quelques degrés est nécessairement « gagnante » économiquement : les bénéfices sont en effet potentiellement illimitées puisqu’on ne peut donner de borne supérieure aux dommages associés à un tel changement climatique. Dit autrement, le coût d’opportunité d’une transition énergétique permettant de fortement contenir la hausse de la température moyenne est négatif à moyen-terme (donner un prix au carbone a pour but d'améliorer la profitabilité d'investissements bas-carbone à court-terme).

Connaître l’ordre de grandeur et son sens : condition nécessaire mais pas suffisante

La connaissance de cet ordre de grandeur et de sa signification n’est cependant pas un gage d’invulnérabilité de nos sociétés : ce serait balayer d’un présomptueux revers de main les tenaces biais cognitifs2.

Des biais cognitifs, il y en a à peu près autant que d’appellations de vins ou de fromages en France. La chaîne YouTube "La tronche en biais", que je vous recommande, traite spécifiquement de ce sujet (sans faire directement le lien avec le changement climatique).

La lutte contre le changement climatique incarne ainsi le défi ultime de nos sociétés : saurons-nous passer au-dessus des multiples incitations à ne pas ou peu agir?

Ces biais cognitifs ralentissent la mise en oeuvre de la transition écologique de plusieurs manières : en amont, ils ralentissent la prise de conscience par la population du changement climatique et de ses principales caractéristiques (or, en démocratie en particulier, la compréhension des enjeux est un préalable à une action collective délibérée); en aval, ils ralentissent le déploiement d'actions de réduction d'émissions, nous laissant penser que quand bien même le problème est réel et sérieux, on aurait tort de trop paniquer.

Voici une liste de certains de ces biais (notons que ces biais n'agiront probablement pas tous avec la même intensité sur nous, cette intensité dépendant de notre situation et de notre groupe social, de nos valeurs, etc.).

Une molécule de CO2, ça ne se voit pas, ça ne se sent pas, ça ne se touche pas… et bim! On peut difficilement partir sur de plus mauvaises bases (ça semble peut-être bête, mais je pense que ne pas percevoir directement avec nos sens l'émission/absence d'émission n'est pas négligeable -on sera toutes choses égales par ailleurs plus enclins à mon sens à s'occuper d'autres pollutions beaucoup plus visibles) !

Rajoutez le fait que les conséquences de son émission –ou de son absence d’émission- dans l’atmosphère ne sont perceptibles que quelques dizaines d’années plus tard (en cause l’inertie du système climatique), et on commence à flairer la fourberie.

Vous voulez d'autres "preuves"? Allez, on vide le sac (N.B : tout ce qui suit n'est pas systématiquement un biais cognitif, mais plutôt une possible explication à la lenteur de notre réaction collective) :

  • parlons de la fable de la grenouille ou syndrome du décalage de point de référence (shifting baselines) : on a tendance à raisonner en relatif et non en valeur absolue, ce qui complique la perception des changements. On dit souvent que telle saison ou tel mois a été "froid" (ou "chaud") en se référant, souvent inconsciemment, à la saison ou au mois de l'année précédente! Autre exemple : quand on parle de « normale » en météo en 2017, on fait référence à la période 1980-2010. Ce qui est "normal" ici ne l'était en fait pas il y a quelques années (la période 1980-2010 est déjà plus chaude que la période pré-industrielle, et n'est donc pas une référence "normale").

  • Une sorte de corollaire, la loi de l'apogée/fin : nous autres êtres humains sommes davantage marqués par une douleur très aiguë même courte qu'une douleur moins forte mais prolongée. Or, le changement climatique en cours, même s'il est brutal, nous plonge davantage dans le 2ème cas que le 1er (on a déjà affaire à des signaux faibles plutôt qu'à de très graves dommages -troubles sociaux très prononcés par exemple- et donc avons à tendance à ne pas réagir au juste niveau). Or à nouveau, lorsque les pires conséquences se manifesteront (si elles se manifestent, i.e en 1ère approximation si on n'agit pas assez pour limiter ce réchauffement), il sera "trop tard" (le phénomène est irréversible).

  • Connaissez-vous le schisme de la réalité d'Amy Dahan? Ce schisme, c'est la croyance -trompeuse- en ce que que le problème est "en cours de résolution". Il serait plus exact, en 2017, de se contenter de dire que le problème est ... "en cours".

  • Avez-vous déjà eu cette sensation? Celle de "savoir", ... mais d'agir comme si l'on ne savait pas : parfois, « on sait mais on ne fait pas » pourrait-on dire simplement. Lorsqu’on apprend quelque chose de dérangeant, le déni et les bonnes excuses nous guettent. Exemple emblématique : le fumeur français voit sur son paquet de cigarettes ce à quoi ressembleront ses poumons, sa gorge, sa langue, etc. à la suite d'une forte consommation de cigarettes. C'est écrit explicitement "Fumer tue"! Et pourtant... Pourquoi alors cette même personne à qui l’on montrerait le schéma plus haut se mettrait-elle à réduire ses émissions de CO2 par 4 en quelques années?

  • nous avons un penchant naturel pour le court-terme alors que le changement climatique (et la transition écologique plus globalement) nous impose de penser long-terme

  • Le biais du statu quo joue probablement également un rôle dans l'inertie de nos sociétés. On constate un assez fort conservatisme et activisme des perdants de court-terme (rappelez-vous, à long-terme, il n’y a que des gagnants) et une relative tiédeur des gagnants post-transition (c’est Machiavel qui le dit d'ailleurs)! Nous autres êtres humains semblent enclins à privilégier la situation actuelle/en cours par rapport à une autre situation, quand bien-même cette autre situation serait bien meilleure!

Toujours plus !

  • « comme personne n’a l’air de trop s’inquiéter, ça ne doit pas être si grave que ça ! », ou encore "c'est trop gros" (pour être vrai? pour que l'on doive agir à la vitesse souhaitée?) voire "si c'était si grave, l'armée serait dans la rue" : relative apathie (communicative) d'une majorité d'entre nous; il s'agit là d'un raisonnement par l'absurde assez fort (et donc dangereux).

  • "Il y a tellement de choses graves sur Terre, de sources d'inquiétude" (le changement climatique en est une parmi d'autres), ou encore "tout est mauvais, on ne peut plus rien faire!", comme le dirait un fumeur pas très rigoureux. Nous avons peut-être tendance, en réaction à l'accumulation de "mauvaises nouvelles", à banaliser certaines craintes, et à ne pas différencier/hiérarchiser ces mêmes craintes, par manque de temps, incitation, paresse, incapacité, etc.

  • confusion entre croissance linéaire et exponentielle, « on a encore le temps » : tendance à la procrastination,

  • "on s'en est toujours sorti" : difficulté collective à appréhender un phénomène inédit. Admettons qu'effectivement "on s'en soit toujours sorti". Cela n'implique pas que nécessairement on va s'en sortir dans le futur! Je n'ai peut-être jamais eu d'accident de voiture, mais rien ne me garantit que je n'en aurai pas prochainement. Et la probabilité que j'en ai un augmente si je commence à conduire de manière risquée.

  • Nous sommes des êtres naturellement « accumulateurs », or la transition ne pourra vraisemblablement se faire sans que nous acceptions de nous fixer des contraintes (taxe/marché carbone, réglementation, etc.),

  • Réduire les émissions de GES, c'est chercher à préserver un bien commun (l’atmosphère) : on a affaire au dilemme du prisonnier, et on peut être tenté de faire le pari que c’est notre voisin qui fera les efforts nécessaires, et pas nous (notons d'ailleurs qu'ici, on pourrait argumenter que ce qui est en jeu est tel que même au niveau individuel l'optimum est de participer à l'action de réduction des émissions)

  • confusion entre objectifs et moyens, hiérarchisation des objectifs douteuse, utilisation de moyens inefficaces pour parvenir aux objectifs : « l’enfer est pavé de bonnes intentions » comme le répète à l'envie un célèbre consultant énergie-climat. Tâchons malgré tout de nous associer aux "bonnes volontés"...

  • ...

Vous ne pensez pas que ces biais auront raison de nous ? Il ne tient qu'à vous de le prouver!

0 : pour faire simple, nous pouvons émettre encore 900 milliards de tonnes de CO2 d’ici 2100 pour garder 2 chances sur 3 de limiter le réchauffement à 2 degrés, et nous émettons actuellement 30 milliards de tonnes annuellement, en ordre de grandeur. Le budget sera donc atteint toutes choses égales par ailleurs avant 2050.

1 : Lorsque cette variation se fait en quelques siècles, comme c’est le cas actuellement, on peut en outre parler de choc, choc lui-même inédit dans l’histoire humaine et très largement irréversible. Massif, inédit, et irréversible sont à mon sens les mots clés à retenir.

2 : parmi les freins à la résolution du problème énergie/climat, il n'est question ici que des biais cognitifs. Mais les ces biais cognitifs ne sont pas les seuls biais dans l'affaire : on pourrait évoquer les blocages institutionnels (dont lobbying), politiques, etc. C'est une histoire sans fin!


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