La tribune en question :https://www.lepoint.fr/postillon/tribune-pourquoi-les-affirmations-catastrophistes-sur-le-climat-sont-fausses-09-12-2019-2352107_3961.php
Les sources auxquelles je me réfère :
Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les terres : résumé pour décideurs (Summary For Policymakers –SPM) et rapport complet (chapitre 5 notamment)
Rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère (SROCC)
Rapport spécial du GIEC sur les risques comparés entre réchauffement de 1.5 et 2°C (SR15)
D’une manière générale, j’ai moi-même mis en gras les passages extraits de ces rapports que je jugeais importants.
J'ai mis en italique et entre guillemets les propos extraits de la tribune.
« Qu'en est-il des allégations de mauvaises récoltes, de famine et de mortalité massive ? C'est de la science-fiction, pas de la science. Aujourd'hui, les humains produisent suffisamment de nourriture pour 10 milliards de personnes, soit 25 % de plus que ce dont nous avons besoin, et les organismes scientifiques prédisent une augmentation de cette tendance, et non un déclin. L'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoit une augmentation des rendements agricoles de 30 % d'ici 2050. Et les régions les plus pauvres du monde, comme l'Afrique subsaharienne, devraient connaître des augmentations de 80 à 90 %. Personne ne suggère que le changement climatique n'aura pas d'impact négatif sur le rendement des cultures. Cela se pourrait. Mais ces baisses doivent être relativisées. Les rendements du blé ont augmenté de 100 à 300 % dans le monde entier depuis les années 1960, tandis qu'une étude reposant sur 30 modèles a révélé que les rendements diminueraient de 6 % pour chaque degré Celsius d'augmentation des températures. Les taux de croissance futurs des rendements dépendent beaucoup plus de l'accès des pays pauvres aux tracteurs, à l'irrigation et aux engrais que du changement climatique, selon la FAO. »
Il y a beaucoup à dire sur ce passage, l’occasion de se pencher sur 2 rapports références sur le sujet : celui de la FAO (cité par Michael Shellenberger), et le rapport spécial du GIEC sur les terres (non cité).
Nous allons notamment voir que la question de la sécurité alimentaire, extrêmement vaste et complexe, est loin de se limiter à la seule question de l’évolution des rendements des cultures.
Commençons par se pencher sur le rapport de la FAO et ce qu’il contient concernant les perspectives d’évolutions des rendements de cultures.
On peut trouver p117 du rapport de la FAO : « Under BAU, average yields for cereals (wheat, rice and maize) increase globally by around 30 percent between 2012 and 2050, equivalent to an annual average rate of growth of around 0.7 percent.”
Il convient je pense de préciser le contexte de l’étude en question : « This report explores different future pathways for food and agriculture systems through three distinct scenarios characterized by the way the key challenges to food security, nutrition and sustainability are dealt with: boldly, partially or not at all.”
3 scénarios sont donc explorés et respectivement nommés BAU (business as usual, proche des scénarios SSP2 -middle of the road et SSP3 du GIEC), TSS (Towards sustainability, proche du SSP1 du GIEC –the green road) et SSS (stratified societies, proche du SSP 4 du GIEC –a road divided).
Il semblerait que Michael Shellenberger confonde (comme beaucoup d’entre nous le font souvent) prévision et prospective (qui est généralement la démarche adoptée lorsque l’on fait de l’analyse par scénarios, ce qui est le cas avec cette étude de la FAO). On verra plus loin qu’il reproduit la même erreur dans un autre passage de la tribune (celui sur W Nordhaus). L’erreur est la suivante : la FAO n’évalue pas de probabilités, en particulier il ne dit pas lequel des 3 scénarios évoqués est le plus probable, ni même si cette liste de 3 scénarios est la plus probable parmi l’infinité de scénarios envisageables. L’emploi du terme « prévision » est dès lors impropre lorsque l’on se réfère à de tels travaux de prospective.
Le scenario TSS est celui des 3 scénarios considérés qui permet une réduction des émissions de GES du secteur agricole : « Under the BAU and SSS scenarios, for example, GHG emissions from agricultural sectors increase by 24 and 54 percent, respectively, while the TSS scenario sees a substantial reduction of 39 percent in emissions (Figure 4.17). »
Tous les scénarios s’inscrivent dans un contexte de croissance économique ; le scenario BAU évoqué par l’auteur de la tribune considère par exemple une croissance économique en moyenne mondiale de 2.2% par an sur la période 2012-2050 (sobrement qualifiée dans l’étude de modérée).
On peut avoir un aperçu de la façon dont est modélisée la production alimentaire par le FAO : « Annual crop production is a function of yields, arable land, and the number of harvests per year – also known as cropping intensity. These components respond to changes in biophysical (i.e. agronomic, climate) and socio-economic conditions (i.e. technological changes, prices, demand) associated with each of the three scenarios.”
La technologie influe positivement sur les rendements agricoles, mais ceux-ci peuvent être dégradés par le changement climatique (il y a donc une boucle de rétroaction qui est prise en compte) : « Crop yields will not only be driven by technical progress but are also expected to be impacted by climate change. » D’une manière plus générale, les rendements sont également fonction de variables économiques : « Actual yields not only depend on technological progress and the response to changing climate conditions, but also on economic variables such as market prices, which affect the decisions of agents regarding technical choices. »
Quelle est la force de cette influence du changement climatique sur les rendements agricoles ?
« The net effect of changing climate conditions depends on the balance of these effects and varies strongly by crop and region, while considerable uncertainties exist regarding the direction and magnitude of climate-change-induced impacts on crop production. Crop- and location-specific estimates of yield changes under variable climatic conditions are inferred from FAO-IIASA GAEZ data (see Box 7), which are specifically generated through simulations of attainable crop yields driven by a set of climate data from five different climate models. These model results suggest that climate change will have mostly negative impacts on yields, with reductions of around 5 percent globally by 2050 compared with 2012, with non-marginal regional variations (see Table 3.7).”
Les gains technologiques devraient dans la très grande majorité des 3 scénarios envisagés surpasser les pertes de rendement liées au changement climatique : “In general, by 2050 technical progress should outweigh the impacts of climate change (Figure 3.9 and Table 3.7). Overall yield growth due to the combined effect of technical progress and climate change – other things such as prices being equal – ranges between 10 and 30 percent in 2050 compared with 2012.”
Cela est clairement perceptible dans le schéma ci-dessous extrait du rapport du FAO (concernant les systèmes irrigués) :
L’effet sur les rendements agricoles des variables climatiques et techniques sont isolés : on constate donc sur le schéma ci-dessus (concernant les systèmes irrigués) des projections plus favorables pour les pays dits à haut revenu, où le changement climatique est en 1ère approximation indolore, alors que pour les pays à revenus faibles et moyens, le changement climatique fait perdre quelques pourcents de rendement en 2050 par rapport à 2012. Ces pertes de rendement sont nettement plus faibles que les gains (supposés) permis par la technologie, et les gains sont maximum dans le cas d’un scénario BAU.
Il est toutefois noté que les conséquences négatives du changement climatique devraient être plus marquées après 2050 d’après le FAO (« Climate change is expected to have more impacts on yields in the second half of the century. »), ce qui va dans le sens de l’évaluation du GIEC exposée ci-dessous (et extraite du rapport sur les terres), puisque la hausse de la température moyenne devrait se poursuivre au cours de la 2ème partie du 21ème siècle, notamment en cas de scénario Business As Usual :
Rappelons qu’en 2050, étant donné l’inertie du climat (de l’ordre de 30 ans), le climat devrait en 1ère approximation être assez peu différent entre les 3 scénarios considérés (en gros, proche de +1.5°C).
Il est également précisé que l’effet du changement climatique sur les rendements pourrait avoir été sous-estimé : «However, FAO-IIASA GAEZ relies on a crop model and so it does not account for a number of processes that could have negative impacts on yields, such as heat stress during critical crop growth periods. In addition, it relies on simulated climate data from General Circulation Models (GCM) which may not capture small-scale and short duration features of the climate. Yields reported in this database could therefore tend to underestimate the potential impacts of climate change on crop yields. »
Le scénario BAU, s’il est le plus favorable des 3 en termes d’évolutions de rendement des cultures, comporterait un nombre important d’effets collatéraux qui le rendraient hautement indésirable d’après la FAO : « “Business as usual” is no longer an option if the targets set by the 2030 Agenda for Sustainable Development – and specifically those directly concerning food and agriculture – are to be met. The high-input, resource-intensive farming systems that have caused massive deforestation, water scarcity, soil depletion, the loss of biodiversity, antimicrobial resistance of pests and diseases and high levels of GHG emissions cannot guarantee the sustainability of food and agricultural systems. Moreover, a future of increasing inequalities, exacerbated climate change effects, uncontrolled migration, increasing conflicts, extreme poverty and undernourishment, as outlined in one of the scenarios of this study, is highly undesirable.”
Le GIEC dans son rapport sur les terres distingue les différentes dimensions des impacts du changement climatique sur les systèmes alimentaires et la sécurité alimentaire. Ces 4 piliers sont :
La disponibilité alimentaire
L’accès à la nourriture
L’utilisation de la nourriture
La stabilité alimentaire
Le schéma ci-dessous, extrait du rapport de la FAO, est éclairant de la façon dont ces 4 piliers sont liés :
Le rendement des cultures est une variable intermédiaire (parmi d’autres variables), qui joue un rôle dans la production des cultures, elle-même intégrée à ce que le GIEC nomme la disponibilité alimentaire (« Climate change impacts food availability through its effect on the production of food and its storage, processing, distribution, and exchange. »). On trouve également dans ce pilier sur la disponibilité alimentaire : les systèmes de production animale, les ravageurs et les maladies, les pollinisateurs, l’aquaculture, les petits systèmes agricoles ; l’effet du changement climatique sur toutes ces variables est discuté dans le rapport spécial du GIEC sur les terres.
Il est intéressant de noter les effets déjà constatés du changement climatique sur les rendements de différentes cultures, et la façon dont nos sociétés ont répondu à ces évolutions : « At the global scale, Iizumi et al. (2018) used a counterfactual analysis and found that climate change between 1981 and 2010 has decreased global mean yields of maize, wheat, and soybeans by 4.1, 1.8 and 4.5%, respectively, relative to preindustrial climate, even when CO2 fertilisation and agronomic adjustments are considered. Uncertainties (90% probability interval) in the yield impacts are –8.5 to +0.5% for maize, –7.5 to +4.3% for wheat, and –8.4 to –0.5% for soybeans. For rice, no significant impacts were detected. This study suggests that climate change has modulated recent yields on the global scale and led to production losses, and that adaptations to date have not been sufficient to offset the negative impacts of climate change, particularly at lower latitudes.”
Essayons de regarder synthétiquement ce que sont les impacts projetés sur les 4 aspects évoqués ci-dessus, d’après le rapport spécial du GIEC sur les terres.
Production des cultures (inclue dans la disponibilité alimentaire) : « In summary, studies assessed find that climate change will increasingly be detrimental to crop productivity levels of warming progress (high confidence). Impacts will vary depending on CO2 concentrations, fertility levels, and region.”
Autre passage intéressant : “ Another method of assessing the effects of climate change on crop yields that combined observations of current maximum-attainable yield with climate analogues also found strong reductions in attainable yields across a large fraction of current cropland by 2050 (Pugh et al. 2016). However, the study found the projected total land area in 2050, including regions not currently used for crops, climatically suitable for a high attainable yield similar to today. This indicates that large shifts in land-use patterns and crop choice will likely be necessary to sustain production growth and keep pace with current trajectories of demand.”
Concernant les pollinisateurs (également inclus dans la disponibiltié alimentaire): « Pollinators play a key role on food security globally (Garibaldi et al. 2016). Pollinator-dependent crops contribute up to 35% of global crop production volume and are important contributors to healthy human diets and nutrition (IPBES 2016).”
Quels sont les risques pesant sur les pollinisateurs? “ Climate change will affect pollinator ranges depending on species, life-history, dispersal ability and location. Warren et al. (2018) estimate that under a 3.2°C warming scenario, the existing range of about 49% of insects will be reduced by half by 2100, suggesting either significant range changes (if dispersal occurs) or extinctions (if it does not).”
En résumé, beaucoup d’incertitudes : “In summary, as with other complex agroecosystem processes affected by climate change (e.g., changes in pests and diseases), how pollination services respond will be highly context dependent. Thus, predicting the effects of climate on pollination services is difficult and uncertain, although there is medium evidence that there will be an effect.”
Accès à la nourriture : « Access to food involves the ability to obtain food, including the ability to purchase food at affordable prices. »
Les impacts sont divisés entre impacts sur les prix et le risque de faim, et impacts sur l’utilisation des terres.
Concernant les impacts sur le risque de faim, on peut trouver ci-dessous un schéma extrait du rapport spécial sur les terres du GIEC, et qui évalue l’évolution en pourcentage d'ici 2050 de la population mondiale menacée par la faim par SSP.
Les points représentent les résultats individuels des modèles par SSP dans les scénarios où des politiques d'atténuation sont mises en œuvre.
On constate une grande variabilité des résultats de modélisation, et par ailleurs une variation de la part de la population exposée au risque de faim plus marquée en moyenne pour les scénarios SSP2 et 3, ceux pour lesquels les efforts de réduction des émissions de GES sont les moins marqués. Notons que dans la très grande majorité des cas, les modèles montrent une augmentation de la part de la population exposée, augmentation pouvant être forte dans les scénarios SSP 2 et 3 (jusqu’à une augmentation de 50% de la population exposée au risque de faim en 2050 dans le SSP3 !).
En valeur absolue, cela représente de l’ordre de quelques dizaines de millions de personnes à risque en 2050 : “This median percentage increase would be the equivalent of 8, 24 and 80 million (full range 1–183 million) additional people at risk of hunger due to climate change (Hasegawa et al. 2018). »
Utilisation des aliments : « Food utilisation involves nutrient composition of food, its preparation, and overall state of health. Food safety and quality affects food utilisation”. Les impacts du changement climatique sont divisés en 2 sous-catégories:
les impacts sur la salubrité/l’innocuité alimentaire* et la santé humaine (“Climate change can influence food safety through changing the population dynamics of contaminating organisms due to, for example, changes in temperature and precipitation patterns, humidity, increased frequency and intensity of extreme weather events, and changes in contaminant transport pathways.”) : “In summary, there is medium evidence, with high agreement that food utilisation via changes in food safety (and potentially food access from food loss) will be impacted by climate change, mostly by increasing risks, but there is low confidence, exactly how they may change for any given place.”
*le terme anglais est food safety, à ne pas confondre avec food securiity : je ne sais pas quelle est la meilleure traduction en français, toujours est-il que ce terme a visiblement une définition précise, qui est la suivante : « Food safety is used as a scientific discipline describing handle, preparation, and storage of food in ways that prevent food-borne illness » (Wikipédia)
Les impacts sur la qualité alimentaire (« There are two main routes by which food quality may change. First, the direct effects of climate change on plant and animal biology, such as through changing temperatures changing the basic metabolism of plants. Secondly, by increasing carbon dioxide’s effect on biology through CO2 fertilisation. ») : “In summary, while increased CO2 is projected to be beneficial for crop productivity at lower temperature increases, it is projected to lower nutritional quality (e.g., less protein, zinc, and iron) (high confidence).”
Stabilité alimentaire (« Food stability is related to people’s ability to access and use food in a steady way, so that there are not intervening periods of hunger. Increasing extreme events associated with climate change can disrupt food stability (see Section 5.8.1 for assessment of food price spikes).”) : “In summary, based on AR5 and SR15 assessments that the likelihood of extreme weather events will increase, (e.g., increases in heatwaves, droughts, inland flooding, and coastal flooding due to rising sea levels, depending on region) in both frequency and magnitude, decreases in food stability and thus increases in food insecurity will likely rise as well (medium evidence, high agreement).”
Le sous-chapitre 5.8 est en outre dédié aux « futurs défis de la sécurité alimentaire » : « A particular concern in regard to the future of food security is the potential for the impacts of increasing climate extremes on food production to contribute to multi-factored complex events such as food price spikes. In this section, we assess literature on food price spikes and potential strategies for increasing resilience to such occurrences. We then assess the potential for such food system events to affect migration and conflict.”
“Given the potential for shocks driven by changing patterns of extreme weather to increase with climate change, there is the potential for market volatility to disrupt food supply through creating food price spikes. This potential is exacerbated by the interconnectedness of the food system (Puma et al. 2015) with other sectors (i.e., the food system depends on water, energy, and transport) (Homer-Dixon et al. 2015), so the impact of shocks can propagate across sectors and geographies (Homer-Dixon et al. 2015).”
La box 5.5 illustre par un cas concret la façon dont un tel enchaînement s’est déjà produit durant la fameuse période 2010-2011, où les chaleurs exceptionnelles de l’été 2010 en Europe, Ukraine et Russie occidentale, combinées à d’autres réactions en cascade, ont conduit à des troubles sociaux dans différentes zones géographique (au Maghreb par exemple).
Mon interprétation de ce qui précède est la suivante et peut être un peu contre-intuitive : la stabilité alimentaire peut être mise à mal par des évènements climatiques extrêmes conduisant à des hausses de volatilité sur les marchés, et cela peut se produire dans un contexte d’impacts modérés du changement climatique sur les rendements moyens des cultures. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir des baisses massives de rendements moyens des cultures pour avoir des troubles sociaux et conflits significatifs.
“In summary, given the likelihood that extreme weather will increase, in both frequency and magnitude (Hansen et al. 2012; Coumou et al. 2014; Mann et al. 2017; Bailey et al. 2015), and the current state of global and cross-sectoral interconnectedness, the food system is at increasing risk of disruption (medium evidence, medium agreement), with large uncertainty about how this could manifest. There is, therefore, a need to build resilience into international trade as well as local supplies.”
Concernant les conséquences du changement climatique en terme de migration et conflit : “ There is medium agreement that existing patterns of conflict could be reinforced under climate change, affecting food security and livelihood opportunities, for example, in already fragile regions with ethnic divides such as North and Central Africa as well as Central Asia (Buhaug 2016; Schleussner et al. 2016) (Box 5.6).”, ou encore “In summary, given increasing extreme events and global and cross-sectoral interconnectedness, the food system is at increasing risk of disruption, for example, via migration and conflict (high confidence).”
L’évaluation des impacts du changement climatique sur les 4 piliers de la sécurité alimentaire étant faite, une tentative d’évaluation synthétique des risques pesant sur la sécurité alimentaire peut alors être faite.
Le message de la section A.5 du SPM du rapport special sur les terres est plutôt explicite: “Climate change creates additional stresses on land, exacerbating existing risks to livelihoods, biodiversity, human and ecosystem health, infrastructure, and food systems (high confidence). Increasing impacts on land are projected under all future GHG emission scenarios (high confidence). Some regions will face higher risks, while some regions will face risks previously not anticipated (high confidence). Cascading risks with impacts on multiple systems and sectors also vary across regions (high confidence).”
Les risques/impacts pesant sur différents indicateurs sont synthétisés ci-dessous, pour différents niveaux de réchauffement (les deux derniers indicateurs –tropical crop yield decline et food supply instabilities étant ceux qui nous intéressent le plus ici) :
En particulier, au-delà de 2°C environ (couleur pourpre), il y a une très forte probabilité de… rupture généralisée (au niveau mondial) et soutenue des chaines d’approvisionnement alimentaire :
Ces risques sont par ailleurs évalués à l’aune de différentes trajectoires socio-économiques (ou socio-economic pathways -SSP) : ces trajectoires étudiées conduisent à une accentuation ou une atténuation des risques liés au changement climatique. En particulier, la trajectoire dite SSP1 (compatible avec une stabilisation du réchauffement climatique à 2°C) permet d’atténuer sensiblement ces risques, notamment en termes d’insécurité alimentaire, en comparaison à la trajectoire SSP3 :
N.B : je ne suis pas sûr de bien comprendre le schéma ci-dessus : chaque scénario SSP correspond à une trajectoire de réchauffement (RCP), et donc je ne comprends pas l’intérêt de montrer par exemple les risques d’un réchauffement de 3° dans le cadre d’un scénario SSP1, sachant que ce même scénario SSP1 est censé limiter le réchauffement à 2°C.
A ce stade, il est bon je pense de rappeler les hypothèses propres aux différents SSP. D’une manière générale, les 5 scénarios considérés (notamment ceux compatibles avec un réchauffement de 1.5°C) prennent place dans une économie en croissance : le PIB mondial est au minimum multiplié par 3 en ordre de grandeur d’ici 2100 (le PIB mondial passe de l’ordre de 80 trillions de dollars à plus de 200 minimum) !
Le SSP1, celui qui permet le plus de limiter les risques de toute nature, est par exemple un scénario que l’on pourrait qualifier d’idéal d’un point de vue des capacités d’adaptation : de forte croissance économique et d’inégalités réduites, de faible croissance de la population, de capacité d’adaptation élevée, etc. Le SSP1 semble particulièrement hypothétique (cela est mon point de vue), étant donné principalement le lien très profond entre consommation d’énergie fossile (et donc émissions de CO2) et PIB : un découplage absolu (au niveau mondial) entre PIB et émissions de CO2 et sur une période prolongée (comme cela est envisagé dans le SSP1) n’a jamais été constaté jusqu’à présent.
Figure 1: certaines hypothèses des scénarios SSP
Concernant les capacités d’adaptation aux risques pesant sur la sécurité alimentaire, retenons pour faire très simple uniquement le message suivant, qui incite à la limitation du réchauffement climatique (section 5.3.1) : “By formulating effective adaptation strategies, it is possible to reduce or even avoid some of the negative impacts of climate change on food security (Section 5.2). However, if unabated climate change continues, limits to adaptation will be reached (SR15).”
« Tout ceci explique pourquoi le Giec prévoit que les changements climatiques auront un impact modeste sur la croissance économique. D'ici 2100, le Giec prévoit que l'économie mondiale sera de 300 à 500 % plus importante qu'elle ne l'est actuellement. Le Giec et le lauréat du prix Nobel d'économie de Yale, William Nordhaus, prédisent conjointement qu'un réchauffement de 2,5 C et 4 C réduirait le produit intérieur brut (PIB) de 2 % et 5 % au cours de la même période. »
C’est le passage dont la critique est peut-être la plus subtile, et qui est assez révélateur du danger (oui, danger) que représentent les travaux de W Nordhaus (ou plutôt c’est dangereux que de tels travaux et de telles conclusions ne soient pas encore unanimement considérées comme du pur bullshit).
Pour commencer, le GIEC ne prévoit aucunement l’évolution du PIB d’ici 2100, ça n’est certainement pas son mandat (le PIB est d’ailleurs simplement imprédictible à une telle échéance, je ne pense pas –je n’espère pas- qu’aucun organisme ne se risque à une telle prédiction). Tout au plus certains peuvent faire l’hypothèse (audacieuse d’ailleurs) que celui-ci sera croissant jusqu’à une telle échéance, et engager une réflexion sur les conséquences économiques du changement climatique dans un tel cadre, à nouveau hypothétique.
Cela étant dit, de deux choses l’une :
la connaissance de l’ordre de grandeur associé à une variation de la température moyenne de quelques degrés, rappelé un peu plus haut (il s’agit d’un changement d’ère climatique), devrait déjà jeter un voile de doute très fort sur le caractère prétendument inoffensif d’une variation de la température moyenne de quelques degrés.
Et puis, pour qui a mis le nez dans les modèles de W Nordhaus et cie ayant permis d’aboutir à la conclusion reprise par l’auteur de la tribune, l’a priori négatif sur ces modèles est très rapidement confirmé (je ne rentrerai pas dans les détails ici, je vous renvoie par exemple à S Keen ou A Pottier). Concluons simplement ici que d’un point de vue épistémologie et histoire des sciences, le fait que les travaux de W Nordhaus lui aient permis d’obtenir le « prix Nobel » d’économie est pour le moins … fascinant.
Précisément parce qu’un changement climatique de quelques degrés de température moyenne aura des effets majeurs sur la sécurité alimentaire (en cohérence avec l’ordre de grandeur rappelé), alors on peut en conclure que l’effet sur le PIB sera significatif (et bien plus que de l’ordre de quelques pourcents du PIB, probablement principalement via des conséquences indirectes –troubles sociaux, conflits, etc., plus que directes –ex catastrophes naturelles).
« Aussi tragiques que soient les extinctions d'animaux, elles ne menacent pas la civilisation humaine. Si nous voulons sauver les espèces en voie de disparition, nous devons le faire parce que nous nous préoccupons de la faune pour des raisons spirituelles, éthiques ou esthétiques, et non pour des raisons de survie. »
Peut-être que la survie de notre espèce n’est pas menacée. Mais à nouveau, doit-on vraiment attendre que celle-ci le soit, ou que « la civilisation humaine » soit menacée pour agir (et puis, quelle est la définition d’une telle menace ?) ? L’action peut être motivée si les risques auxquels nous expose un changement climatique de plusieurs degrés sont jugés trop élevés et inacceptables. Et cela a déjà été souligné à plusieurs reprises dans les extraits des différents rapports du GIEC, des risques, globalement croissants avec l’élévation de température moyenne, pèsent sur toute la biodiversité, … dont les êtres humains.
Je dirais qu’il y a probablement un peu du biais de supériorité qui transparait dans le passage cité en chacun d’entre nous, de ce sentiment d’invulnérabilité de l’espèce humaine (à différents degrés bien sûr). Nous avons beaucoup de mal à appréhender les conséquences indirectes et en cascade (rétroactions) liées à l’érosion de la biodiversité et au changement climatique en cours et à venir, et sommes dès lors tenter de croire qu’elles seront faibles. Nous sommes grisés par toutes les prouesses technologiques que nous avons accomplies, et sommes parfois déconnectés de l’environnement dans lequel nous évoluons.
Le rapport pour décideurs de l’IPBES nous remet les pieds sur Terre :
A : « La nature et ses contributions vitales aux populations, qui ensemble constituent la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, se détériorent dans le monde entier »
A.1 : « La nature est essentielle à l’existence humaine et à une bonne qualité de vie. La plupart des contributions de la nature aux populations ne sont pas intégralement remplaçables, et certaines sont mêmes irremplaçables »
A.4 : « Dans la plupart des régions du monde, la nature a aujourd’hui été altérée de manière significative par de multiples facteurs humains, et la grande majorité des indicateurs relatifs aux écosystèmes et à la biodiversité montrent un déclin rapide. »