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guillaumecolin

Proposition méthodologique : comptabilité carbone des services vendus

Dernière mise à jour : 28 juil. 2021


 

Problématique identifiée


Qu’est-ce qu’un service ?


Un service peut se définir de façon antinomique à un produit. Les standards actuels de comptabilité carbone incluent une catégorie d’émissions relative à l’utilisation des produits vendus (catégorie 3.11 « Use of Sold Products » du GHG Protocol ou catégorie 18 du Bilan Carbone®).

Une entreprise qui vend un service est donc une entreprise qui ne vend pas la propriété d’un produit[1] : elle peut donc vendre un service en lien avec un produit spécifique (location, entretien, etc.), ou bien un service qui n’est pas en lien avec un produit fini mais va plus globalement servir un projet ou l’activité d’une entreprise.


Diagnostic


L’état des lieux de la comptabilité carbone théorique [2]des émissions liées à la vente de services par des entreprises est le suivant :

  • Les émissions liées aux services financiers (investissements) sont prises en compte dans la catégorie 15 du GHG Protocol ou symétriquement dans le poste 15 de la méthode Bilan Carbone®.

  • Les émissions liées aux autres types de services vendus (services liés au numérique, conseil, audit, tout type de prestation intellectuelle, service d’autre nature, etc.) ne sont pas prises en compte.

Il y aurait beaucoup à dire sur le 1er point et la théorie de la comptabilité carbone du secteur financier, mais l’objet de cette note porte sur le second point.

Intéressons-nous donc aux services non financiers vendus par des entreprises, et dont on a dit que les émissions associées n’étaient pas comptabilisées.

La catégorie 11 (scope 3) du GHG Protocol, qui pourrait faire office de catégorie hôte de telles émissions (au sens où il s’agit d’émissions dans l’aval de la chaîne de valeur de l’entreprise dont on calcule « les émissions ») est intitulée ‘Use of Sold Products’ (il est donc question à ce stade des émissions liées à l’utilisation des produits vendus) ; dans la description de cette catégorie dans le guide de calcul du scope 3 du GHG Protocol, on y trouve que cette catégorie inclut les émissions liées à l’utilisation de produits et services vendus. Puis dans l’explication des règles de comptabilité de cette catégorie, les services ont … disparu (et il n’est plus question que de produits -d'où ce que l’on considère ici comme l'absence théorique de comptabilité carbone des services vendus).[3]

Les émissions liées à la vente de services ne sont donc tout simplement pas comptabilisées. Que l’on cherche à évaluer au travers de la comptabilité carbone la contribution ou la dépendance au carbone d’une entreprise (ou autre chose), cet oubli est très problématique : un certain nombre d’économies sont déjà tertiarisées, c’est-à-dire sont des sociétés de services (notamment les économies dites occidentales), et par ailleurs, cette tertiarisation, guidée par la croissance de l’économie de la fonctionnalité, va probablement se poursuivre (au sens où de plus en plus d’entreprises ne vendent et ne vendront plus exclusivement des produits, mais un ensemble de produits et services - M. Volle parle ainsi diconomie).

Par ailleurs, le fait qu’une entreprise vende des services ne signifie pas que ces services n’ont aucun impact environnemental -affirmer cela serait équivalent à dire que ces services vendus sont sans impact, et donc sans utilité, … tout court. Pourquoi donc quelqu’un achèterait-il ce service, s’il ne servait à rien ? Il semble donc y avoir un « vide méthodologique » que cette note essaiera de combler.

Cette absence de comptabilité carbone des services vendus semble donc être théorique (il n’y a pas de recommandation ou guide explicite sur une telle comptabilité carbone dans les standards) et a fortiori pratique (on peut pour s’en convaincre se référer aux déclarations publiques d’entreprises « vendeuses de services » telles Google, Facebook, etc.).

Eléments d’explication


Les raisons de l’absence (au moins partielle) de comptabilité carbone des services vendus sont probablement multiples (mais à notre sens insatisfaisantes) :

  • Un service est immatériel et n’induit pas en tant que tel -directement- des émissions.

Analyse : Les standards actuels de comptabilité carbone incluent déjà des émissions dites indirectes. Peu importe que les conséquences les plus directes soient immatérielles, il convient donc à ce titre de prendre en compte les émissions indirectes qui découleront des conséquences (matérielles cette fois-ci, éventuellement en bout de chaîne de valeur) de la vente de services. Et de fait, ces services auront des conséquences (matérielles in fine) … sinon, bis, on peine à comprendre pourquoi un client aurait acheté ces services.

  • Il est difficile d’évaluer les émissions associées à la vente de services.

Analyse : Cette difficulté ne peut pas être rédhibitoire : des possibilités méthodologiques existent et peuvent être alignées sur les règles de calcul d’émissions des produits vendus.

  • La principale raison est probablement historique : la comptabilité carbone des entreprises repose sur une logique de flux physiques (davantage que sur une approche conséquentialiste)

Analyse : la logique actuelle de comptabilité carbone des produits vendus peut être dupliquée à celle des services vendus.


 

Pourquoi cette omission est problématique


Citons quelques conséquences dommageables et exemples particulièrement révélateurs des problèmes liés à l’absence de comptabilité carbone des services vendus :

Ces quelques exemples illustrent le fait que la myopie des émissions des services vendus dans la comptabilité carbone actuelle est particulièrement vraie dans le numérique (que l’on peut considérer ici comme un service plutôt qu’un produit vendu).

Mais à y regarder d’un peu plus près, beaucoup d’autres secteurs d’activités ne « voient » pas non plus une bonne partie de « leurs » émissions de CO2.

Citons pêle-mêle, les services aux industries (conseil, ingénierie, etc.), les services dans le bâtiment (bureaux d’étude, de contrôle, etc.), la communication/marketing/relations presse, les différentes activités de conseil, etc.

A nouveau, dans les sociétés tertiarisées telles que nous les connaissons, en France par exemple, le nombre d’entreprises concernées est probablement très élevé.[4]

Autres exemples : un certain nombre de cabinets de conseil en stratégie, pesant parfois plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires ou de capitalisation boursière, déclarent également des objectifs de neutralité carbone alors même que la comptabilité carbone utilisée ne tient pas compte des émissions induites par leurs services vendus.

Quelle que soit l’importance que l’on peut accorder à la comptabilité carbone (guide sur l’impact carbone et les actions de réduction possible, transparence à destination des parties prenantes -clients, fournisseurs, investisseurs, etc.), quel que soit l’objectif de comptabilité carbone que l’on considère (contribution, dépendance ou autre chose ?), ne pas comptabiliser d’émissions liées à la vente de services semble être très insatisfaisant.

Du point de vue de la lutte contre le changement climatique, il y a à notre sens un besoin urgent à proposer une alternative.




 

Proposition méthodologique : comment comptabiliser les émissions liées aux services vendus ?


La méthodologie proposée introduit une distinction entre plusieurs cas :

  • le service vendu est associé à un produit fini qui apparaît dans les comptes de l'entreprise (et donc dans son CA) : il s'agit par exemple d'une agence de voyages, un site de e-commerce (qui réalise de l'achat-revente), etc.

  • le service vendu est associé à un produit fini qui n'apparaît pas dans les comptes de l'entreprise (non plus dans son CA). On peut distinguer deux sous-catégories :

    • le service est associé à un produit fini identifiable. Il s'agit par exemple d'une marketplace (type Le Bon Coin, qui vend un service de mise en relation entre acheteurs et vendeurs, et dont le CA correspond à la commission prise sur la transaction) ou d'une agence de publicité.

    • le service vendu n'est pas associé à un produit fini mais s’inscrit dans la chaîne de valeur d’un produit (et par ailleurs le produit en bout de chaîne de valeur n'apparaîtra toujours pas dans les comptes de l'entreprise). Cette sous-catégorie recouvre les activités de conseil, marketing, services numériques, etc.


Cette distinction rappelle un peu celle introduite dans la comptabilité carbone des émissions liées à l’utilisation des produits vendus (distinction entre produit fini/intermédiaire).[5]


Pour rappel, lorsqu’une entreprise vend un produit fini, qu’elle que soit la valeur ajoutée de son activité (e.g même s’il s’agit uniquement d’achat pour revente du produit), elle doit comptabiliser l’ensemble des émissions liées à l’utilisation de ce produit (en sus des émissions amont du produit -fabrication, fret, etc.).


En revanche, si une entreprise vend un produit dit intermédiaire (qui ne sera pas utilisé en tant que tel par l’usager final mais s’inscrit dans la chaîne de valeur d’un produit), alors l’entreprise doit dans ce cas-là doit s’allouer une part des émissions totales liées à l’utilisation du produit fini, par exemple au prorata du poids monétaire du produit intermédiaire vendu dans le produit fini.


Concrètement, dans le cas d’un produit fini (e.g voiture), il n’y a pas d’allocation des émissions (le vendeur de voiture comptabilise la totalité des émissions liées à la voiture, qu’elle que soit sa valeur ajoutée dans la chaîne de valeur de cette voiture) ; dans le cas d’un produit intermédiaire (e.g roues, moteur, parechoc d’une voiture), il y a allocation d’une partie des émissions du produit fini (la voiture) au vendeur de produits intermédiaires.[6]


Cela étant rappelé, la proposition méthodologique de comptabilisation des émissions des services vendus peut être divulguée.


1er cas : service associé à un produit final qui apparaît dans les comptes de l'entreprise


Dans ce cas-là, et de manière assez analogue à ce qui est fait dans la comptabilité des produits vendus, la totalité des émissions liées aux services vendus est comptabilisée.



Citons quelques exemples d’entreprises (vendeuses de services) figurant dans ce 1er cas : une agence de voyages, une plateforme de covoiturage, un service de location ou de manière générale n’importe quelle entreprise de l’économie de la fonctionnalité traitant des produits finis.


Application numérique


Par exemple, une plateforme de covoiturage devrait comptabiliser les émissions associées à l’ensemble des trajets effectués via cette plateforme, en faisant le produit des distances parcourues dans le cadre des trajets effectués via la plateforme par le facteur d’émission des véhicules supports de ces trajets (facteurs d’émission en gCO2e/km, intégrant de manière classique les émissions amorties de l’amont de l’énergie et de fabrication de la voiture, et les émissions liées à l’utilisation du véhicule).

Si 100 millions de kilomètres de trajets en voiture ont été réalisés via la plateforme de covoiturage durant l’année de reporting, dans des voitures émettant en moyenne 200 gCO2e/km (sur le cycle de vie -fabrication, amont de l’énergie et utilisation du carburant), alors la plateforme de covoiturage comptabilise 20 000 tCO2e au titre des émissions liées aux services qu’elle vend.


N.B : il est possible que les émissions de tels services soient déjà comptabilisées par les standards actuels, étant donné que la méthodologie évoquée ci-dessus est assez intuitive -reposant souvent sur des flux physiques facilement identifiables- et proche de ce qui est fait pour les produits vendus. Les standards n’étant néanmoins pas clairs à ce sujet -comme cela a été rappelé en préambule, cette section pourrait a minima permettre de clarifier ce sujet.


2ème cas : service associé à un produit final ou s'inscrivant dans la chaîne de valeur d’un produit qui n'apparaît pas dans les comptes de l'entreprise.


Le service vendu peut être associé à un produit fini (une voiture, etc.), mais la différence avec le 1er cas et que ce service s’inscrit dans la chaîne de valeur d’un produit ou projet, et que ce produit n'apparaît pas dans les comptes de l'entreprise qui vend le service.


Deux scénarios intermédiaires peuvent être distingués :

Scénario°1 : le produit ou projet final peut être identifié.

Pour clarifier le type de services appartenant à cette catégorie, prenons quelques exemples : il peut s’agit d’une publicité pour un produit ou projet spécifique, d'une marketplace, de conseil et services à l’élaboration d’un produit ou projet spécifique (ex. d’un bureau d’études dans le secteur automobile), etc.


Dans ce cas-là, nous suggérons d’évaluer les émissions associées aux services vendus en faisant le produit de l’intensité carbone du produit concerné (kgCO2e/€ -prix du produit vendu) par la valeur monétaire du service vendu, ce qui revient de façon équivalente à allouer les émissions sur le cycle de vie du projet ou produit à l’entreprise étudiée, au prorata de son poids financier dans le produit/projet.





A ce stade, il y a au moins deux possibilités pour évaluer l’intensité carbone d’un produit vendu : de façon privilégiée en se référant au prix de revient ou coût total du produit/projet (obtenu en additionnant les différents coûts -d’investissements, opérationnels, etc.- de la structure de coûts), ou de façon secondaire en se référant au prix de marché du produit.


Se référer au prix de marché est en effet plus simple (les données de marché sont généralement transparentes) mais expose la comptabilité carbone à la volatilité des prix de marché, parfois forte notamment pour les commodités traitées sur des marchés financiarisés.


Enfin, de manière encore analogue à ce qui est pratiqué dans la comptabilité carbone des produits vendus, d’autres clés d’allocation pourraient être envisagées (éventuellement autres que monétaires), et devraient être le cas échéant explicitées de façon transparente et utilisées de façon universelle par l’ensemble des acteurs du produit, projet ou secteur d’activité concerné.


Applications numériques

Pour illustrer ce premier scénario, prenons plusieurs exemples.


Commençons avec un premier exemple assez simple, celui des revenus publicitaires. Un réseau social tire 500 k euros de revenus liés à la publicité du modèle BMW X3. Comment devraient être évaluées les émissions de ce réseau social au titre de la vente de ce service de publicité précis ?

Le réseau social devrait commencer par évaluer l’intensité carbone d’un tel modèle en divisant les émissions sur le cycle de vie d’une BMW X3 (fabrication, amont de l’énergie, utilisation sur la durée de vie théorique) par son prix de marché moyen. Ensuite, les émissions allouées au réseau social seraient obtenues en faisant le produit de cette intensité carbone par la valeur du service de publicité vendu par ce même réseau social.


Un modèle BMW X3 émet sur son cycle de vie et en conditions réelles d’utilisation de l’ordre de 280 gCO2e/km (valeur approximative, le détail des calculs n’est pas précisé ici). En prenant comme hypothèses 10 années d’utilisation et 17 000 km parcourus par an (hypothèses standards de l’ADEME), et en considérant un prix moyen à l’achat neuf de 45 k€, on obtient une intensité carbone de 1,05 kgCO2e/€ pour une BMW X3.

Les émissions allouées au réseau social liées aux revenus publicitaires ciblés sur les modèles BMW X3 sont donc égales à 529 tonnes de CO2e.


N.B : En généralisant et en première approximation, si l’on considère une intensité carbone moyenne de 0,5 kgCO2e/€ (proche de l’intensité carbone mondiale obtenue en divisant le PIB mondial par les émissions de GES mondiales), alors les revenus publicitaires de Google, d’un montant proche de 50 Mds d’€, seraient associés à des émissions de l’ordre de 25 MtCO2e. Google a déclaré (CDP 2019) un peu plus de 14 MtCO2e dans son scope 3 (dont aucune émission liée aux services vendus, et la majorité provenant de la catégorie investissements).


Le second exemple, plus complexe, est celui de l’intelligence artificielle vendue par un acteur du numérique et mise au service de l’exploitation d’un champ pétrolier. Comment devraient être évaluées les émissions au titre de la vente de ce service (l’intelligence artificielle) ?


En suivant la méthodologie proposée, l’acteur du numérique pourrait donc procéder de différentes manières.


De façon privilégiée, la première façon de faire consisterait à commencer par estimer les émissions du cycle de vie du volume de pétrole amené à être exploité durant la phase d’utilisation du service vendu.

Cela inclut pour commencer les émissions de l’amont de l’énergie, du transport, etc (des facteurs standards issus de l’ADEME ou de DEFRA existent pour ces postes d’émissions du pétrole et pourraient être utilisés), et bien sûr également les émissions liées à l’utilisation du pétrole extrait du sous-sol.


Pour estimer la part de ce volume d’émissions « revenant » à l’acteur du numérique, les émissions précédemment calculées seraient divisées par le coût total du projet d’exploitation (coûts d’investissements, variables, etc.), de façon à obtenir une intensité carbone monétaire. Enfin, cette intensité carbone serait multipliée par la valeur du service vendu pour obtenir les émissions allouées à l’acteur du numérique.


Si cette première façon de faire ne convient pas (par exemple pour des raisons d’accès aux données financières du projet), l’entreprise pourrait alors multiplier la valeur monétaire de son service vendu par l’intensité carbone du pétrole exploité, cette dernière pouvant être calculée de façon générique en faisant le ratio des émissions d’un volume de pétrole donné (e.g émissions d’un baril de pétrole sur son cycle de vie) sur le prix de baril de pétrole (idéalement le prix de revient plutôt que de marché, pour éviter que la comptabilité carbone soit affectée de la volatilité du prix du baril sur les marchés financiers).


A titre d’exemple, si le prix de revient du baril extrait est en ordre de grandeur de 50 $/baril, sachant qu’un baril de pétrole (159 litres) émet en ordre de grandeur 400 kgCO2e, alors l’intensité carbone est de l’ordre de 8 kgCO2e/$.

Ainsi, si l’acteur du numérique vend 10 M$ par an son service, les émissions associées à ce service vendu sont estimées à 80 000 tCO2e.


Scénario°2 : le produit final ne peut pas être identifié.

Ce second scénario n’est pas fondamentalement différent du premier, mais s’en distingue par l’utilité du service vendu. Dans ce second scénario, le service vendu ne sert pas un projet ou produit spécifique, mais sert de façon plus générale et indifférenciée (et surtout indifférenciable, sinon l’on se trouve dans le 1er scénario) l’entreprise acheteuse du service.


Citons quelques exemples pouvant rentrer dans ce deuxième scénario : du conseil en organisation/management, services en communication/relations presse génériques à destination d’une entreprise, un service d’audit financier, etc.

La méthodologie proposée est la même que précédemment : les émissions sont obtenues en faisant le produit de l’intensité carbone des ventes de l’entreprise acheteuse du service par la valeur monétaire du service vendu.


La subtilité dans ce scénario réside dans la façon d’évaluer l’intensité carbone.

Celle-ci peut être évaluée de différentes manières présentées ci-dessous :

  • Sur la base de l’intensité carbone d’un panier de produits vendus par l’entreprise acheteuse du service, si ces différents produits peuvent être identifiés (auquel cas on peut se référer au 1er scénario pour estimer individuellement l’intensité carbone d’un produit ; puis ensuite il reste à pondérer adéquatement les différentes intensités carbone),

  • Si le client acheteur du service est lui-même une entreprise qui vend des services, alors on récupère l’intensité carbone des services vendus par le client. Il y a pour cela plusieurs possibilités :

  1. Le client la calcule de la manière présentée ci-dessus puis la communique,

  2. Ou alors cette intensité carbone peut être recalculée directement par l'entreprise vendeuse du service, par exemple en faisant le ratio des émissions de la catégorie 3.11 Utilisation des produits et services vendus sur le chiffre d’affaires de l’entreprise cliente)

  3. Si le client vend un ensemble de produits et services, alors les deux méthodes présentées ci-dessus sont appliquées pour obtenir une intensité carbone pondérée.

Applications numériques

Prenons l’exemple d’un service vendu par un cabinet de conseil à un acteur du luxe. Ce service est d’une valeur de 100 k€, et est générique (il s’agit de mener des réflexions stratégiques par exemple), c’est-à-dire qu’il ne porte pas sur un produit ou projet particulier.

Cet acteur du luxe vend un ensemble de produits de maroquinerie (50% du CA, facteur d’émission cradle-to-gate de 0,3 kgCO2e/€), prêt-à-porter (25% du CA, facteur d’émission cradle-to-gate de 0,1 kgCO2e/€) et accessoires (25% du CA, facteur d’émission cradle-to-gate de 0,1 kgCO2e/€).

L’intensité carbone moyenne pondérée des produits vendus par l’acteur du luxe est de 0,2 kgCO2e/€, les émissions allouées au vendeur du service sont donc de 20 tCO2e.


Prenons un second exemple, celui d’un cabinet de conseil qui vend une prestation d’une valeur de 50 k€ à un acteur du numérique (qui est donc une autre entreprise vendeuse de services). Cet acteur du numérique a évalué l’intensité carbone de ses services vendus (en suivant la méthode préconisée par cette note) à 1 kgCO2e/€.

Les émissions que doit comptabiliser le cabinet de conseil sont évaluées à 50 tCO2e.


 

Schéma récapitulatif de la méthodologie





Conclusion

La méthodologie proposée pour comptabiliser les émissions des services vendus est alignée sur celle de comptabilisation des émissions des produits vendus.

La distinction méthodologique entre produit intermédiaire et produit fini est notamment respectée.

La méthodologie proposée ne révolutionne aucunement la comptabilité carbone des standards et pourrait donc facilement se rajouter, être « pluggée » aux cadres de comptabilité existants, voire être interprétée comme un guide ou une clarification de la méthodologie des standards actuels (qui mentionnent la comptabilité carbone des services vendus sans expliciter la façon de procéder).


 

Avantages de la méthodologie proposée


Les risques climat des entreprises concernées sont mieux identifiés


La méthodologie proposée permet une meilleure évaluation (et donc gestion) des risques climat des entreprises concernées par la vente de services (entreprises du numérique, du conseil, sociétés de services, etc.).

Cela est favorable tant pour les entreprises visées elles-mêmes (alors mieux équipées pour naviguer dans un monde contraint en carbone) que pour les parties prenantes de ces entreprises (clients, financeurs, etc.) qui n’avaient jusqu’à présent qu’une vision parcellaire de l’exposition aux risques climat de ces entreprises.


La méthodologie crée des incitations à l’action favorable au climat


On retrouve les deux leviers d’actions traditionnels [7]dont dispose une entreprise vendeuse de services (financiers et non financiers) pour réduire « ses » émissions comptabilisées :

  • Efficacité carbone : engagement vis-à-vis des clients pour les pousser à réduire l’intensité carbone de leur activité.

  1. Ce levier peut avoir un effet sur les émissions induites ou sur les émissions évitées de l’entreprise dont on comptabilise les émissions.

  2. Ainsi, un publicitaire peut choisir de ne mettre en avant que les produits les plus sobres en carbone de ses clients, et s’engager avec son client pour l’accompagner dans la transition (un cabinet de conseil pourrait par exemple accroître ses services d’accompagnement d’entreprises dans la transition).

  • Sobriété (ou sélection de clients) : réorientation du business model vers les clients les moins carbonés. Une entreprise est dans une certaine mesure libre de choisir avec qui (et dans quelle proportion) faire du business, et à la manière d’une entreprise financière désinvestir de ses clients les plus carbonés.


 

Critiques possibles et tentatives de réponses


Est-il trop tard pour changer les méthodologies ?

D’après nous, absolument pas :

  • La lutte contre le changement climatique ne fait que commencer (la décarbonation de nos économies n’a pas encore véritablement commencé -les émissions mondiales sont en tendance encore à la hausse- et se déroulera au moins tout au long du 21ème siècle), et les entreprises ne sont qu’au tout début de leur parcours de décarbonation (pour un certain nombre, elles en sont surtout au stade de la communication et des déclarations d’intention -certes salutaires).

  • Le problème (absence de comptabilité carbone des services vendus) risquerait de s’amplifier avec l’émergence croissante de l’économie de services et de la fonctionnalité.

  • Ne pas combler ce « vide » de comptabilité maintenant revient à s’exposer à des retours de bâton et des impasses encore plus fortes dans un futur proche.

  • Il y a un effet d’entraînement potentiellement très fort : dans le cadre de leur stratégie climat, les entreprises vendeuses de services se verraient contraintes à s’engager avec leurs clients (les aider à réduire leur empreinte carbone et augmenter leurs émissions évitées) et/ou sélectionner leurs clients pour réduire « leurs » émissions. Il y a potentiellement un effet de levier très fort en faveur du climat, si des entreprises aussi dominantes que Google ou Facebook ou des cabinets aussi influents que McKinsey ou BCG se mettaient à agir dans ce sens.

Enfin, et ceci ne prouve rien mais a valeur de rappel : tâchons de nous souvenir que nous autres humains sommes généralement conservateurs face au changement et avons tendance à être victimes du biais du statu quo, quel que soit le changement proposé !


Certaines entreprises se sont déjà fixées des objectifs basés sur la comptabilité carbone actuelle, est-il possible de revenir en arrière ?


En effet, un certain nombre d’entreprises (dont certaines ont déjà été mentionnées dans cette note) se sont déjà fixées des objectifs de réduction de leurs émissions calculées suivant les standards actuels.


Une évolution de ces standards par suite d’une intégration de la comptabilité des services vendus entraînerait de fait une évolution à la hausse des émissions de certaines de ces entreprises (e.g Google, Microsoft, etc.). Cette évolution à la hausse pourrait d’ailleurs être parfois spectaculaire.


S’agit-il d’une raison suffisamment bonne pour ne pas faire évoluer le cadre méthodologique de comptabilité carbone ? Il y a certes un coût associé à ce changement méthodologique, mais pour arbitrer il faut raisonner non en termes de coûts seuls, mais plutôt en termes de bilan coûts-bénéfices et voir si les bénéfices surpassent ou non les coûts.

D’après nous, les bénéfices sont en effet supérieurs aux coûts, et pour plusieurs raisons :

  • Comme cela a déjà été dit, la lutte contre le changement climatique ne fait que commencer (elle va durer encore très longtemps) : d’un point de vue temporel, il n’est donc certainement pas trop tard pour améliorer la méthodologie/théorie de comptabilité carbone,

  • Les engagements pris par les entreprises sur les émissions d’ores et déjà comptabilisées ne seraient pas nécessairement remis en question par l’évolution méthodologique suggérée. Néanmoins, une entreprise soucieuse de son impact sur le climat devrait également s’engager sur « ses » émissions liées aux services vendus, en plus de ses autres postes d’émissions. En revanche, de telles entreprises devraient effectivement revoir leur communication carbone -par exemple, Google ne pourrait plus parler de neutralité carbone sans traiter d’une façon ou d’une autre les émissions liées à ses revenus publicitaires.

Ne pénaliserait-on pas les entreprises qui vendent des services favorables au climat ?


Un argument qu’il pourrait être rétorqué contre cette proposition méthodologique est le fait « d’attribuer [8]» des émissions à des entreprises qui sont contributrices à la transition bas-carbone (cabinets de conseil, bureaux d’étude, etc.). Nous pouvons apporter plusieurs éléments de réponse à cela :

  • Tout d’abord, le même constat pourrait être fait concernant la méthodologie déjà en vigueur de comptabilité carbone des produits vendus ! Les émissions induites d’entreprises vendant des produits servant la transition sont bien comptabilisées (e.g la SNCF, Tesla, etc.).

  • Cette comptabilité a du sens, du point de vue de la contribution carbone (en étant fournisseur d’une entreprise, on contribue donc à la réussite de son activité -et ainsi aux émissions de cette même activité) et de la dépendance carbone (une entreprise de l’économie verte -un cabinet de conseil en stratégie carbone- peut tout à fait être dépendante du carbone)

  • Mais surtout, l’élément de réponse clé est le suivant : une entreprise peut en sus de ses émissions induites (qui font l’objet de cette note) comptabiliser ses émissions évitées (ou réduites) liées à ces mêmes services vendus et qui rendent compte de sa contribution à la transition bas-carbone.[9] La méthodologie proposée pourrait se dupliquer au calcul des émissions évitées permises par la vente de services d’une entreprise.

La méthodologie proposée surestime-t-elle la contribution carbone d’une entreprise ?


Rappelons et insistons une nouvelle fois sur ce point crucial : les standards actuels de comptabilité carbone ne s’inscrivent déjà pas dans une logique d’évaluation de la juste contribution (ou responsabilité) carbone d’une entreprise (ce qui impliquerait notamment une absence de recouvrement des émissions entre contributeurs, en vertu de l’axiome d’efficacité, ce qui n’est pas le cas -les scopes 3 des entreprises recouvrent très régulièrement les mêmes émissions).

Ce que l’on appelle « les émissions » d’une entreprise n’est donc certainement pas révélateur de la contribution carbone (au changement climatique) d’une entreprise : les émissions du scope 3 sont par exemple attribuées à une entreprise sur la base des produits qu’elle manipule (achète et vend), indépendamment de sa valeur ajoutée dans le cycle de vie de ces produits.

Ainsi, la comparabilité des émissions absolues des entreprises calculées par les standards est déjà largement limitée (par la théorie comptable actuelle).

Les standards actuels se rapprochent donc bien plus d’un calcul de dépendance au carbone que d’un calcul de contribution (ou responsabilité carbone d’une entreprise).[10]

D’une certaine manière, la philosophie comptable de la méthodologie proposée pour les services vendus est assez proche de celle en vigueur relative aux produits vendus.

En somme, l’objectif (imparfait et qui gagnerait à être clarifié) de la comptabilité carbone n’est finalement pas tant de mesurer la contribution (ou responsabilité) carbone d’une entreprise mais plutôt de capter un lien de dépendance susceptible de faire apparaître pour l’entreprise des leviers d’action favorables à la réduction globale des émissions de GES. A ce titre, la méthodologie proposée répond à cet objectif.


Y-a-t-il des risques de doubles comptes d’émissions au-sein d’une même entreprise ? Notamment, que faire si une entreprise vend un ensemble de produits et services ?


Il s’agit ici de comptabiliser les émissions induites par le service vendu (et non les émissions physiquement nécessaires à la réalisation du service -par exemple l’électricité nécessaire à un service informatique, qui sont-elles déjà comptabilisées dans les standards actuels).

Il n’y a donc à ce titre pas de double compte mais plutôt un élargissement du champ d’étude traduisant l’impact du service vendu dans la chaîne de valeur aval (et donc la dépendance carbone associée du vendeur de service).


L’incertitude des émissions des services vendus serait très élevée.

L’incertitude est exactement de même nature que celle relative aux produits vendus (puisque la méthodologie proposée pour les services est alignée sur celles des produits vendus) :

  • Soit on est dans le 1er cas (service lié à un produit fini), et alors on comptabilise l’entièreté des flux physiques ;

  • Soit on est dans le 2nd cas (service intermédiaire), et alors dans ce cas les émissions calculées sont une pure construction puisque l’on va allouer les émissions du produit (ou des produits) final/aux à l’entreprise qui vend le service (et on procède de la même manière que pour un produit intermédiaire).


C'est compliqué (voire impossible) de mesurer les émissions générées par des services vendus

Cette remarque est assez croustillante. En effet (et contrairement à ce que je laisse supposer dans cet article) , la comptabilité carbone des entreprises ne cherche pas à mesurer les conséquences de l'activité d'une entreprise. En d'autres mots, elle ne mesure pas les émissions générées ou induites par l'activité d'une entreprise. Dès lors, on ne peut demander que la comptabilité carbone des services vendus soit conséquentialiste, ... si elle ne l'est pas déjà pour les autres postes d'émissions déjà comptabilisés.


[1] Cette caractéristique sur la propriété est importante, par exemple si un produit est loué on parlera alors de service de location. [2] i.e telle que définie dans les guides méthodologiques des principaux standards -GHG Protocol, Bilan Carbone®, etc. [3] Des remarques équivalentes peuvent être faites au sujet du poste 18 de la méthode Bilan Carbone® [4] Difficile à ce stade de donner un ordre de grandeur du nombre d’entreprises concernées et de leur chiffre d’affaires associé. [5] Nous renvoyons pour cela au guide méthodologique du GHG Protocol (catégorie 3.11), ainsi qu’à cette note encore plus explicite de Carbone 4. [6] Cette méthodologie est fortement discutable, que l’on cherche à évaluer la contribution/responsabilité carbone d’une entreprise ou sa dépendance au carbone; à ce stade, nous essayons simplement de proposer une méthodologie alignée avec la façon de faire pour les produits vendus. [7] En finance, on parle d’engagement et de divestment. [8] Cette remarque est à nouveau révélatrice du flou des objectifs de comptabilité carbone (notamment entre contribution et dépendance). [9] A nouveau, nous nous alignons sur le cadre méthodologique standard (comptabilité séparée et non fongible entre émissions induites et évitées). Néanmoins, ce cadre n’est pas sans poser quelques problèmes : quels devraient-être les objectifs de réduction d’émissions d’une entreprise souhaitant contribuer à limiter le réchauffement à 2°C ? [10] Même si là aussi, ça n’est pas complètement clair.

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