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guillaumecolin

Acheter d’occasion, bon pour l’environnement … ou le portefeuille?

Dernière mise à jour : 11 juil. 2022


On a déjà évoqué dans un autre article le fait que le covoiturage n’était pas en tant que tel bénéfique pour le climat : qu’en est-il pour une autre forme de sobriété régulièrement mise en avant comme solution pour le climat, à savoir l’achat de produits et services d'occasion ou de seconde main ?


Nous allons tenter de répondre à cette question en raisonnant dans le cadre conséquentialiste tel qu’introduit sur ce blog.


Autrement dit, nous interrogerons sur le fait que les conséquences d’un achat d’occasion soient ou non bénéfiques pour l’environnement, d’un point de vue systémique (ou macroéconomique).


On en profitera pour se demander si l’on peut généraliser un tel raisonnement à certaines autres formes de sobriété ou de l’économie circulaire (allongement de la durée de vie, réemploi, don, etc.).




 

Pour rappel, dans le cadre d’analyse conséquentialiste introduit sur ce blog, nous commençons par raisonner en termes d’intensité carbone monétaire (kgCO2eq/€) de différents scénarios (à périmètres équivalents).


Dans notre cas, nous allons donc comparer un scénario d’achat d’un produit de seconde main à celui d’achat d’un produit neuf.


 

Pour calculer l'intensité carbone monétaire, nous allons devoir décider quelles émissions attribuer à un vêtement de seconde main (numérateur) et quel coût y associer (dénominateur).


Quelles émissions ?


Nous allons prendre en compte une quote-part des émissions cradle-to-shelf du produit (périmètre qui va de l’extraction des matières premières jusqu’au consommateur, en gros le volume d'émissions nécessaires à sa fabrication) ainsi que les émissions liées à l’utilisation sur la durée de vie restante du produit.


Pourquoi ce choix ?
Peut-il être légitime de ne pas inclure ces émissions liées à la fabrication, et d’inclure uniquement les émissions liées à la 2ème vie du produit, hors fabrication ?

Plusieurs éléments de réflexion laissent penser qu’une telle exclusion ne serait pas pertinente.


  • D'abord, on créerait un biais dans le calcul de l'intensité carbone monétaire, alors que l'on cherche à avoir un périmètre identique entre numérateur (émissions) et dénominateur (coût). Or le dénominateur (le coût complet du produit) inclut la valeur monétaire résiduelle (ou amortie) du produit : il convient donc d’inclure l’équivalent en termes d’émissions au numérateur. Ne pas faire ça reviendrait à dire que le bien n’a plus de valeur et ne peut plus être utilisé.

    • D’ailleurs, à partir de quand (ou plutôt combien de jours d’utilisation) peut-on dire qu’un produit est de seconde main ?

    • Par exemple, imaginons l’achat à un instant T d’un produit neuf, puis sa revente à T+x où x est très faible (disons 1 minute après l’achat, pour pousser à l’extrême l’expérience de pensée). Doit-on considérer qu’il n’y a aucune émission amont associée à ce produit de seconde-main ?


  • "Les émissions initiales ont déjà eu lieu et sont donc irrécupérables, il n'y a pas lieu de les attribuer à un produit de seconde main!"

    • On pourrait en fait dire la même chose des émissions d’un produit … neuf ! Lorsqu’on l’achète, les émissions ont en fait déjà eu lieu dans le passé, et elles sont en un sens irrécupérables ; ce n’est donc pas l’achat qui entraîne (en termes de causalité temporelle) les émissions du produit acheté (tout au plus peut il entraîner la fabrication future -et donc les émissions- d’un nouveau produit).


  • "Les émissions ont déjà été comptées lors de l’achat initial, les attribuer une nouvelle fois à l'acheteur du produit de seconde main créerait un double compte (entre le 1er acheteur -du produit neuf- et le second -produit d’occasion-, voire les suivants -si d’autres transactions) !"

    • C’est déjà le cas dans la comptabilité carbone d’entreprises, puisque d’un fournisseur à son client les émissions se transmettent. A nouveau, l'objectif est d'avoir un périmètre de comparaison identique entre émissions et coût (autrement l'intensité carbone monétaire est biaisée).

N.B : en toute rigueur, il faudrait également intégrer les émissions liées à l’expédition du vêtement de seconde main et à son conditionnement. Etant a priori marginales, on les omet ici.


Quels coûts?


Il s’agit du coût complet lié à l’utilisation du produit, soit le prix d’achat plus les coûts prévisionnels futurs liés à son utilisation, entretien, etc.


On peut considérer en première approximation que le prix du produit de seconde main est proportionnel au nombre de jours d’utilisation restant.

Par exemple, on suppose ici qu’un vêtement neuf d’une valeur de 100€ et pouvant être utilisé 100 jours sera acheté à 50€ s’il lui reste 50 jours d’utilisation.


On a donc :

Soit :


La conclusion de ce qui précède est donc la suivante : l’intensité carbone monétaire du produit de seconde main … est en première approximation la même que celle du même produit, mais neuf !


Cela semble a priori cohérent : un produit n’est pas plus bas-carbone après X jours d’utilisation qu’il ne l’est à la sortie de l’usine (ou alors par quel miracle pourrait-il l’être ?).


 

Comparer les émissions en volume de chaque scénario


Une fois les intensités carbone monétaires évaluées, on peut comparer les émissions en valeur absolue de chaque scénario.


Scénario 1 : le vendeur ne vend pas son produit de seconde main, et l’acheteur achète un produit neuf pour X euros.


Scénario 2 : le vendeur vend son produit de seconde main, et l’acheteur l’achète pour Y euros (Y<X). L’acheteur fait donc une économie de X-Y euros par rapport au scénario 1.




Autrement dit, comme


ssi




L’interprétation de ce résultat est donc la suivante : le bénéfice environnemental d'un achat de produit d'occasion dépend entièrement de l’amplitude du rebond des émissions et de la manière dont l’argent économisé entre les scénarios 1 et 2 sera utilisé (épargné, dépensé, détruit, etc.).


Si cet argent sert par exemple à l'acheteur du produit d'occasion à acheter (en totalité ou partiellement) un autre vêtement avec la même intensité carbone, alors l’effet global sur le système sera nul.


Autrement dit, vous auriez mieux fait d’acheter un vêtement neuf dont l’intensité carbone monétaire était plus faible.


Ainsi, et sans surprise, il est d'autant plus pertinent d'acheter d'occasion plutôt que neuf des produits à forte intensité carbone, car le rebond en termes d'émissions portera probablement sur un produit moins carboné.


Quels sont les scénarios possibles concernant cette somme d’argent X-Y ?

Elle peut être dépensée (i.e associée à la consommation d'un produit), épargnée (i.e consommée indirectement suivant votre placement financier, et à terme une fois que cette épargne sera utilisée), ou détruite (ce qui équivalent à une perte de pouvoir d’achat -par suite d’inflation, taxe carbone, décroissance à prix constants, etc.).

Seul ce dernier cas empêche tout rebond des émissions.


A budget ou pouvoir d’achat constant, il y a nécessairement un rebond des émissions lié à la dépense de l’économie réalisée grâce à l’action de sobriété.


 

Perspectives


L’analyse précédente peut-elle se généraliser ?

Ce qui précède porte sur un achat de seconde main.


Le fait que l’intensité carbone monétaire d’un produit ou service soit identique peut en fait se généraliser à différentes formes de sobriété (on a déjà évoqué le cas du covoiturage ou plus largement de l'économie du partage).

Cela est cohérent avec le fait qu’une action de sobriété n’a pas d’impact intrinsèque sur le produit ou service consommé : que ce dernier soit partagé ou réutilisé, les émissions qui lui sont associées sont fondamentalement inchangées.


La généralisation peut aussi s’étendre au cas de l’allongement de la durée de vie. Il s’agit d’une action de sobriété là aussi sans effet sur l’intensité carbone monétaire. En fait allonger la durée de vie est équivalent à annuler un achat ou une dépense : c’est une pure économie d’argent qui là aussi est neutre pour le climat en première approximation à pouvoir d’achat constant (puisque, à nouveau, cette économie d’argent sera soit dépensée ou épargnée, à pouvoir d’achat constant).


La sobriété sans basse du pouvoir d’achat : un leurre

Le principal enseignement de cet article est le suivant : la sobriété (acheter d’occasion ou allonger la durée de vie en sont des exemples) n’est pas décarbonante en tant que telle.

Elle permet une baisse momentanée des émissions qui n’est en fait que partie remise, en raison de l’économie d’argent permise par l’action de sobriété.


Cela permet néanmoins de se donner une seconde chance (et bonne conscience au passage ?) : l’intérêt environnemental de l’opération est conditionné par l’ampleur du rebond des émissions.


La sobriété est-elle inutile ?

Non, elle est utile.

D'abord, comme on l'a vu plus haut, si elle porte sur des produits ou services particulièrement carbonés (car même s'il y a rebond d'émissions du fait du pouvoir d'achat économisé, ce rebond sera probablement moins important).


Néanmoins, la sobriété n'est pas tant utile pour décarboner (ou indirectement, en étant un amortisseur à la décroissance) que pour permettre de conserver des produits et services à pouvoir d’achat décroissant.


La véritable sobriété, ça n'est pas tant le partage, le don, l'allongement de la durée de vie, etc. : c’est … gagner moins d’argent.


Dans une économie de marché, la régulation se fait par les prix (inflation, décroissance, etc.), i.e d’une baisse du pouvoir d’achat (éventuellement ciblée sur les produits que l’on souhaite pénaliser, ici les plus carbonés).


D’un point de vue causal, ce sont les prix qui tirent effectivement les émissions vers le bas, la sobriété (et notamment ses variantes telles que l’économie de partage) ayant pour rôle de pouvoir conserver un niveau de service à peu près équivalent, à revenus plus bas (par exemple pouvoir continuer à se déplacer).


On le voit bien avec la hausse récente des prix des carburants fossiles et le développement très fort de pratiques de sobriété (covoiturage, partage, etc.) : la régulation se fait par les prix, et les pratiques de sobriété arrivent dans un second temps pour permettre de conserver un accès aux produits et services auxquels on était habitués (se déplacer, consommer, etc.).


Ne nous trompons pas sur le rôle de la sobriété !


 

Autres digressions et réponses à des questions légitimes

Si l’on n’achète pas le produit de seconde main, alors il sera perdu, c’est un gaspillage dommageable pour l’environnement !


C’est une réaction assez intuitive que l’on peut avoir : comment ne pas acheter un produit en passe d’être jeté pourrait ne pas être positif pour l’environnement ?


Comme on l'a vu précédemment, un tel gaspillage est en fait bien plus économique (perte d’efficacité économique ou utilisation sous-optimale d’un produit ou service) qu’environnemental.

Que le ou la propriétaire d’un produit encore en état de fonctionnement ou utilisable (un habit, produit électronique, etc.) le jette ou le revende à une personne tierce, cela semble être neutre pour l’environnement en première approximation (à pouvoir d’achat constant).


Nous sommes là au cœur des différences entre le cadre conséquentiel que je propose et ceux plus standards (tels que QuantiGES de l’ADEME, le pilier B de la Net Zero Initiative, ou plus généralement toutes les méthodes de calcul d'émissions évitées -en témoigne également le rapport ADEME sur réemploi): l’absence de prise en compte du transfert d’argent dans les approches standards nous rend incapables de prendre en compte les conséquences systémiques des choix de consommation.

De tels cadres sont a-économiques : ils raisonnent uniquement d’un point de vue physique, ce qui, tout aussi intéressant que cela puisse être, les met dans l’incapacité d’évaluer les effets rebonds pourtant clés dans l’analyse coûts-bénéfices environnementale.


On peut également voir à ce qui précède une critique de l’affichage environnemental tel qu’actuellement envisagé.

Le cadre européen PEF, qui intègre des critères de durabilité et rapporte l’impact environnemental par jour d’utilisation, répond à certaines limites du cadre français, sur le secteur textile par exemple (socle technique de l’ADEME).

Il ne raisonne néanmoins pas dans un cadre conséquentialiste puisqu’il n’évalue pas d’intensité carbone (ou environnementale) monétaire, i.e par € dépensé.


La personne vendeuse peut dépenser l’argent reçu en achetant de nouveaux produits, cela est-il pris en compte ?


Notons que l’argent perçu par la personne vendeuse sera lui aussi épargné, dépensé (dans un habit ou autre chose d’ailleurs, à l’intensité carbone monétaire plus ou moins élevée) ou détruit.


Dans le cadre conséquentialiste proposé, on est indifférent à l’impact carbone de la dépense qui sera réalisée par le vendeur (qu'il s'agisse du vendeur du produit neuf ou de seconde main), une fois l’argent reçu, puisqu’il n’y a pas de raison a priori de penser que cet argent sera dépensé d’une manière plus que d’une autre.


Si tel n’est pas le cas (i.e si l’on dispose d’informations laissant penser qu’un certain type de dépense sera privilégié), alors le calcul des émissions de chaque scénario peut être ajusté pour intégrer cette nouvelle information.



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