Introduction
A la fin de ce précédent article dans lequel je disais que toutes les entreprises ne devraient pas chercher à baisser leurs “émissions de CO2” (scopes 1 à 3, calculées suivant l’un des standards), je promettais à mes quelques lecteurs de revenir avec une proposition d’alternative répondant aux critiques soulevées.
Après une 1ère proposition finalement insatisfaisante (pour des raisons rappelées ci-dessous) et quelques mois de réflexions passionnantes, je pense y voir un peu plus clair et suis très heureux de partager une contribution qui j’espère sera bénéfique à la lutte contre le changement climatique -et d’une certaine manière, le cadre théorique proposé peut se généraliser aux luttes contre les impacts environnementaux de toute nature.
Comme évoqué au travers de ce que j'ai appelé le triangle d'impossibilité, l'approche de comptabilité carbone attributionnelle en vigueur actuellement nous conduit dans une impasse.
En somme, si nous cherchons à compter le carbone des entreprises pour savoir quoi réduire, alors nous faisons fausse route avec l'approche qui fait actuellement foi.
Je pense qu’un certain nombre de personnes ont “senti” que la théorie actuelle du couple comptabilité/réduction (GHG Protocol/SBT, ou piliers A et B de la NZI) avait quelque chose d’insatisfaisant et de bancal : pourquoi peine-t-on autant à comprendre ce que signifient "les émissions d'une entreprise" ? Pourquoi propose-t-on à la fois des cibles de réduction en intensité et en absolue, comme un aveu de faiblesse méthodologique ? Pourquoi compte-t-on uniquement des émissions évitées, et pas augmentées ? Pourquoi ne regarde-t-on jamais avec qui une entreprise fait du business (par exemple les clients d'une entreprise qui vend des services)? Pourquoi une entreprise dont les produits émettent deux fois moins que ses concurrents devrait elle aussi baisser "ses émissions" (i.e son activité, à l'intensité carbone des produits près) ? N'y a-t-il pas une façon plus maligne, ou dit de façon un peu provocante, ... un peu moins "bête et méchante" ?
Si, à mon sens, et c'est ce que je vais tenter de justifier ici.
De façon surprenante, je n’ai pas vu (cela m’a peut-être échappé) de critiques formalisant explicitement les ressorts de cette impasse théorique que j’ai nommé triangle d’impossibilité et proposant une alternative théorique satisfaisante, c'est à dire pas nécessairement parfaite mais meilleure (ou moins mauvaise) que la théorie actuellement en vigueur.
Cette impasse est telle qu’elle implique une refonte de notre manière d’aborder la question de la comptabilité et de la réduction des émissions pour les entreprises.
Le point de départ de ce qui suit est le suivant : les émissions mondiales doivent baisser de X% par an (on parle bien de baisse en volume ou valeur absolue, et pas en intensité).
N.B : dans toute la suite, je parlerai de X% par an, sans évoquer de chiffre précis (5%, 7%, etc.), car ce chiffre est en fait sujet à discussion et fonction des choix de scénario de décarbonation, d'ambition de limite du réchauffement climatique (1.5°C, WB2°C, 2°C, etc.), des probabilités associées, etc. La valeur de X importe peu dans la suite, d'où ce choix de conserver une valeur non déterminée. Le point central étant que les émissions mondiales doivent bien baisser en valeur absolue de manière annuelle.
Cela n'implique en revanche pas que « les émissions » (j’insiste volontairement avec des guillemets pour rappeler le fait que « les émissions » d’une entreprise ne sont pas une réalité intangible, mais bien une construction humaine et convention comptable, comme la comptabilité financière) de chaque entreprise doivent baisser de X% par an (dire l'inverse serait être "bête et méchant"), pour des raisons déjà plusieurs fois évoquées sur ce blog et qui ont toutes trait au fait que "les émissions" d'une entreprise ne représentent pas l'impact carbone de l'activité d'une entreprise.
Cela étant dit, comment peut-on décliner cet objectif macroéconomique de baisse des émissions de X% par an à l'échelle microéconomique des entreprises, de la manière la plus pertinente possible ?
L'intuition de départ est assez simple : si une entreprise vend davantage de produits ou services entre l'année N-1 et l'année N, cela peut être positif pour le climat si cette vente s'est faite en remplacement / substitution de produits plus émissifs qui auraient par ailleurs été vendus.
Dire cela soulève alors deux questions :
● La première : comment savoir s'il y a eu remplacement ou empilement, autrement dit si le produit ou service en question s'est substitué à un produit ou service qui aurait été vendu, ou s'il s'est rajouté à un produit ou service (qui s'est malgré tout vendu) ?
→ Pour y répondre, nous introduirons la notion de dynamique de marché, qui traduit l'évolution du volume d'activité (valeur totale de produits ou services vendus) et permet d’évaluer à quel point les produits vendus par une entreprise s’empilent/se rajoutent (en cas de dynamique croissante) ou se substituent à d’autres produits.
Nous proposerons d’introduire et comparer trois dynamiques différentes : celle de l’entreprise, celle de son secteur d’activité (ou plus exactement du groupe de produits ou services à unité fonctionnelle commune), et celle de la consommation finale du pays dans lequel elle réalise son activité.
Ces choix sont discutables et d'autres comparaisons (e.g avec davantage de sous-secteurs) ou modélisations sont tout à fait envisageables. A ce stade, faisons assez simple.
● La seconde : comment savoir ce qu'a remplacé un produit ou service vendu ?
→ Les benchmarks ou comparaisons (entre produits d’un même secteur, et également entre secteurs -avec la consommation finale) seront clés dans cette nouvelle approche conséquentialiste.
Une manière de formaliser cette intuition et donc de définir une théorie alternative au cadre attributionnel actuel est la suivante : pour une entreprise, ce qui doit baisser, et en valeur absolue, ce sont les émissions d’un scénario de référence nommé situation précédente, terme que l'on essaiera de définir rigoureusement dans un instant.
L'un des points clés réside dans le fait que cette situation précédente est définie par un périmètre qui peut être plus large que celui restreint au seul volume d'activité en année N-1 de l'entreprise étudiée, afin de traduire le fait qu’il peut y avoir substitution de produits vendus entre entreprises.
Les émissions de la situation précédente seront ainsi différentes des émissions attribuées à l'entreprise étudiée en année N-1 : c'est une première différence fondamentale entre le cadre conséquentialiste et attributionnel.
C'est une différence centrale avec l'approche actuelle, dans laquelle ce sont les émissions attribuées à l'entreprise qui doivent baisser entre l'année N-1 et N.
Autrement dit, dans le cadre attributionnel actuel, la comparaison ne va jamais au-delà du seul périmètre de l’entreprise (et de ses scopes 1 à 3) : l’entreprise étudiée est isolée du comportement de ses concurrents ou plus généralement de l’économie dans laquelle elle s’inscrit.
Que vend une entreprise ?
L’intuition que nous avons commencé à formaliser ci-dessus porte sur le cas simplifié d’une entreprise qui vend des produits finis à destination de la consommation finale.
L’économie est néanmoins loin de se résumer à ce cas de figure !
Nous allons donc introduire le modèle suivant d'une économie, avec un nombre restreint de types d’activités possibles pour une entreprise.
Nous verrons qu’il permet de clarifier et simplifier l’approche conséquentialiste, et reprend des termes déjà utilisés dans les standards actuels de comptabilité carbone attributionnelle.
Une entreprise peut vendre :
● un produit,
○ Fini. Un produit fini (pouvant être utilisé sous sa forme actuelle ; e.g une voiture) peut être vendu en B2C ou B2B, auquel cas ce produit fini servira une nouvelle chaîne de valeur et on considérera qu’il s’agit d’un outil (exemple d’une machine-outil, qui est un produit fini qui sert à fabriquer d’autres produits). Cette distinction B2B et B2C est également une nouveauté par rapport au cadre attributionnel, où l’on ne fait pas de distinction (qu’un produit fini soit vendu en B2B ou B2C, les émissions sont comptées de la même manière).
○ Ou intermédiaire. Un produit intermédiaire est un produit qui ne sera pas utilisé directement sous sa forme actuelle et s’inscrit physiquement dans un autre produit.
■ Exemple : une perceuse est un produit fini, tandis qu’une roue ou une pièce d’acier est un produit intermédiaire étant donné qu’il est nécessaire de l’intégrer à un autre produit avant son utilisation (exemple une voiture…).
● Ou un service.
Par contraste, dans le cadre attributionnel, on ne fait pas de distinction entre B2B (vente d'un produit ou service qui s'inscrit dans une nouvelle chaîne de valeur) et B2C.
Comment calculer les émissions de la situation précédente ?
Commençons avec le cas simple d’une entreprise qui vend un produit ou service fini en B2C, c’est-à-dire un quelque chose qui sera directement utilisé par un consommateur final.
Les émissions en année N correspondent aux émissions scopes 1 à 3 du cadre attributionnel : ou dit autrement, elles sont obtenues en faisant le produit de l’intensité carbone du produit ou service fini par l’activité de l’entreprise.
En revanche, les émissions de l’année N-1 auxquelles on souhaite se comparer diffèrent : dans le cadre attributionnel, ce sont toujours les émissions scopes 1 à 3 (en année N-1), alors que dans le cadre conséquentiel, ce sont cette fois les émissions de la situation précédente.
La formule de calcul des émissions de la situation précédente figure sur le schéma ci-dessus. Elle est présentée dans le cas où l'entreprise, son secteur et la demande finale sont tous en croissance (et Te>Ts>Tc) mais peut facilement être généralisée aux autres cas de figure.
Pour calculer les émissions de la situation précédente, la première étape consiste donc à évaluer différentes intensités carbones monétaires en année N-1 (kgCO2/coût complet en €) :
Celle du produit vendu par l’entreprise (I E,N-1),
Celle des produits concurrents auxquels le produit vendu peut se substituer directement (I S,N-1),
et celle de la demande finale de l’économie de la zone géographique considérée (I C,N-1),
D’une manière générale, ces intensités carbones sont obtenues en faisant le ratio de l’impact carbone du produit considéré (au sens de l’ACV monocritère carbone) par le coût complet du produit :
Les émissions au numérateur correspondent aux émissions sur le cycle de vie (scopes 1 à 3) du produit vendu (ou plutôt de l’unité fonctionnelle remplie par le produit ou service vendu).
Le fait de regarder les émissions par unité fonctionnelle permet en théorie de comparer l’ensemble des alternatives d’un même service donné, ce que ne permet pas nécessairement une approche sectorielle standard (dans un même secteur, on peut retrouver des produits remplissant des fonctions différentes). Une telle approche (par groupes de produits ou service à unité fonctionnelle commune) est néanmoins a priori plus compliquée à mettre en œuvre en pratique, car les données accessibles sont en général regroupées par secteur d’activité, suivant une nomenclature qui peut s’éloigner de celle recherchée.
L’approche par secteurs, à l'aide par exemple de la classification des codes NAF (division, section, etc.), peut ainsi être une solution raisonnablement satisfaisante.
Nous privilégions l'intensité monétaire (à une intensité physique), car elle permet de capter des effets rebonds ou de report de consommation dans ou en dehors du secteur concerné, qui ne peuvent pas être captés via l'intensité physique (dire qu’une chaussure est plus ou moins émissive qu’une carotte -voire même qu'une autre chaussure- ne nous avance pas beaucoup).
L’approche monétaire permet ainsi de définir des scénarios contrefactuels macro (par exemple de se comparer à la consommation finale) plutôt qu’uniquement sectoriels, ce que ne permet pas l’approche physique (puisque les € sont un dénominateur commun à différents secteurs, d’où l’avantage ici de l’approche monétaire).
Le coût complet du produit est le prix de vente du produit ou service augmenté des coûts cachés/indirects ayant lieu après la vente du produit (pour avoir un périmètre comparable entre émissions et euros), comme les coûts liés à l’utilisation ou à la maintenance.
En effet, dans la comptabilité carbone actuelle, l’aval du scope 3 correspond par définition à des montants financiers qui n’apparaissent pas dans les comptes de l’entreprise étudiée (la distinction fret amont/aval porte par exemple sur le fait que le fret soit ou non assumé par l’entreprise, l’utilisation des produits vendus est par définition supportée par le client final, etc.). Ainsi, afin qu’il y ait un alignement entre comptabilité carbone et monétaire (sans quoi l’intensité carbone considérée serait biaisée -sur ou sous-estimée), il convient de rajouter au prix du produit une estimation des coûts cachés qui n’y figurent pas explicitement : coût lié à la livraison ou déplacement jusqu’au magasin, coûts liés à l’utilisation, à la maintenance, à la fin de vie.
Typiquement, l'intensité carbone (kgCO2eq/€ de CA) des fabricants automobiles est artificiellement haute (si l’on adopte un point de vue macro) car le scope 3 intègre les émissions liées à l'utilisation des voitures, alors que le CA du fabricant automobile n'intègre pas les coûts liés à cette utilisation (assumés par le client final).
On pourrait noter ici que ces coûts peuvent être difficiles à estimer. En effet, le coût lié à l’utilisation d’une voiture est par exemple déterminé par le prix futur du pétrole sur toute la période d’utilisation, extrêmement volatil et inconnu au moment du reporting. A ce stade, je dirais qu’une estimation sur la base des prix futurs sur les marchés à terme constatés au moment du reporting est suffisante, à défaut d’être entièrement satisfaisant. C’est dans tous les cas moins insatisfaisant que l'approche actuelle qui consiste simplement à omettre ces coûts futurs lorsque l’on calcule l’intensité carbone d’une entreprise.
Enfin, ces coûts futurs ne devraient à mon sens pas être actualisés, puisqu’une telle actualisation n’est pas faite sur les émissions de CO2 futures (liées à l’utilisation, etc.).
Les émissions de la situation précédente prennent en compte les effets possibles de substitution relative entre secteurs d’activité (substitution intersectorielle, sur la base d’une analyse comparée des taux de croissance des secteurs de l’économie) et au-sein d’un même secteur d’activité (substitution infra-sectorielle, sur la base d’une analyse comparée des taux de croissance du secteur d’activité de l’entreprise et du taux de croissance de l’entreprise).
Et à nouveau, par abus de langage je parle de secteurs d’activité, mais dans l’esprit de ma proposition ici, il faut davantage entendre groupes de produits ou services à unité fonctionnelle commune.
Un autre type substitution pas encore évoqué porte, lorsqu’il a lieu, sur le remplacement d’équipements en fonctionnement (et qui consomment de l’énergie lors de la phase d’utilisation -voitures, bâtiments, etc.) : comment peut-on prendre en compte cela dans notre cadre conséquentialiste ?
Par rapport à la situation précédente, il y a alors substitution sur la phase utilisation des produits vendus.
Il faut dans ce cas intégrer dans les émissions de la situation précédente l’intensité carbone du service ou produit vendu sur la phase utilisation du cycle de vie de l’équipement remplacé.
Comment obtenir cette information sur la part substitution de l’existant/empilement ? En fonction du niveau d’information accessible, il convient de privilégier la vision micro (du client acheteur du produit), et à défaut la vision macro de dynamique de marché du produit en question (dynamique d’utilisation des équipements ; pour les voitures par exemple, évolution des kms parcourus sur un territoire donné).
Exemple chiffré
Sortons un instant de l’abstraction, et prenons l’exemple fictif d’une entreprise qui vend des chaussures.
Nous allons voir que cet exemple est assez emblématique des différences entre l’approche attributionnelle et conséquentialiste.
Disons qu’il s’agisse d’une nouvelle marque, en forte croissance, et qui commercialise des chaussures dont l’intensité carbone (kgCO2eq/€ -coût complet de la chaussure) est égale à 100 gCO2eq/€ (constante dans le temps), soit 50% de moins que la moyenne pondérée du secteur des chaussures, égale à 200 gCO2eq/€ en 2018 (les chiffres sont fictifs -mais pas complètement éloignés des ordres de grandeur, et de telles différences ne sont pas du tout aberrantes, en témoignent les résultats hébergés sur la plateforme Carbonfact).
Cette marque a cru de 100% ( !) entre l’année 2018 et 2019, passant de 1 à 2 M€ de chiffre d’affaires, tandis que le secteur des chaussures a lui cru de 5%, et la consommation finale était stable (0% de variation) sur la période.
L’intensité carbone de la consommation finale en France en 2018 était de 314 gCO2eq/€, obtenue en faisant le ratio émissions induites par la demande finale intérieure (empreinte carbone de 749.5 MtCO2e, traitement SDES 2019 d'après CITEPA) sur la demande intérieure (2 385 M€, d’après Eurostat).
Les émissions en 2019 de l’entreprise sont de 200 tCO2eq (2 M€ * 100 tCO2eq/M€).
Les émissions de la situation précédente sont de 306 tCO2eq (1 M€ * 100 tCO2eq/M€ + 95%*1M€ * 200 tCO2eq/M€ + 5% * 1M€ * 318 tCO2eq/M€).
Les émissions de la situation précédente ont donc baissé en valeur absolue de -35% (pour rappel, nous disions que la baisse en absolu des émissions mondiales doit être de X% par an, X généralement compris entre 5 et 10% par an – suivant les scénarios, ambitions, etc.).
Dans le cadre attributionnel, les émissions attribuées à l’entreprise étaient de 100 tCO2eq en 2018 et 200 tCO2eq en 2019, soit +100% de hausse en absolu (et stable en intensité) : aurait-on alors conclu que l’entreprise était de la pire espèce ?
A noter que j’ai volontairement pris ici l’exemple d’une petite entreprise, pour qui l’écart entre les deux approches (attributionnel / conséquentielle) est particulièrement saisissant ; mais j’espère qu’à ce stade de l’article vous avez compris que les différences de fond entre ces deux approches n’ont en fait rien à voir avec la taille de l’entreprise (j'ai considéré une "petite entreprise" car ce sont souvent ces "petites entreprises" qui ont les plus forts taux de croissance), mais avec l’intensité carbone des produits ou services vendus par l’entreprise, comparativement à celle de ses pairs (sectoriels / groupes à unité fonctionnelle commune) et à celle de la consommation finale, ainsi qu’à la prise en compte des dynamiques de chacun des marchés.
On aurait pu prendre l’exemple d’une grande entreprise (la SNCF est un probablement bon exemple), que l’enseignement à retenir serait le même.
Considérons maintenant les cas plus complexes de ventes de produits ou services en B2B.
Je reconnais avoir passé beaucoup de temps à essayer de trouver une solution entièrement satisfaisante, et ne pas y être parvenu.
Ce qui suit me semble donc satisfaisant (et répondre à un certain nombre de besoins), mais pourrait évoluer dans le futur si une alternative plus pertinente est proposée.
L’intuition de départ est la suivante : pour évaluer l’impact sur le climat d’un produit ou service vendu en B2B, il est dans bien des cas insuffisant de se limiter aux émissions sur le cycle de vie de ce produit ou service vendu.
En effet, en faisant ça, on ne regarde pas (ou très peu*) les émissions de l’aval de la chaîne de valeur, et surtout de ce à quoi va réellement servir le produit ou service vendu en B2B, qui par définition (B2B = Business to business), va servir une nouvelle chaîne de valeur.
*N.B : les émissions d'un produit intermédiaire intègrent les émissions liées aux éventuels process de transformation aval et une partie des émissions liées au produit fini. Mais pour un produit fini vendu en B2B, on ne soucie pas du client acheteur de ce produit ou service.
Qu’une entreprise qui vend des services en B2B le fasse auprès d’entreprises qui sont décarbonées, qui se décarbonent, ou qui font le contraire, cela n’apparaîtra pas dans les émissions sur le cycle de vie du service vendu.
De même, qu’une tonne d’acier soit vendue à un fabricant d’éolienne, de plateformes pétrolières, ou à un promoteur immobilier, cela n’aura a priori pas le même impact sur le climat et pourtant les différences n’apparaîtront que trop peu dans l’ACV du produit et le bilan carbone de l'entreprise.
La solution que je propose à ce stade est la suivante, et consiste à distinguer deux périmètres :
Par défaut / de manière privilégiée, le périmètre recouvre les produits ou services vendus en B2B (de manière analogue au cadre attributionnel actuel -on ne se préoccupe pas du second "B" de B2B),
Si les émissions de la situation précédente (portant sur le périmètre initial) n’ont pas baissé de X% par an (i.e si l’évolution est supérieure à -X%), alors on peut changer de périmètre et cette fois évaluer l’évolution des émissions (dans le cadre conséquentialiste) du produit B2C de la nouvelle chaîne de valeur dans laquelle s’inscrit le produit ou service étudié et vendu en B2B (à noter que l’objectif est de remonter -ou plutôt s’enfoncer- jusqu’au produit ou service fini vendu au consommateur final, i.e de retomber sur le « C » dans la chaîne de valeur -B2B2B…2C).
Autrement dit, on tolère une évolution des émissions de la situation précédente des produits ou services B2B vendus différente de -X% par an, uniquement si ceux-ci s’inscrivent dans des chaînes de valeur qui se décarbonent (elles-mêmes de -X% par an).
Il s’agit d’un compromis qui a ses avantages et inconvénients :
Il a l’avantage de la simplicité et permet de retranscrire l’appartenance d’une entreprise à des chaînes de valeur qui se décarbonent (ou sont décarbonées) : une telle entreprise en croissance d’activité pourrait voir ses émissions attribuées augmenter alors même qu’elle contribue à des chaînes de valeur qui se décarbonent.
Un inconvénient est le suivant : la situation précédente du produit ou service fini (vendu en B2C) peut évoluer à la baisse ou à la hausse sans que cela soit le résultat de l’impact réel de l’entreprise étudiée. En effet, on ne fait pas de calcul « toutes choses égales par ailleurs », on ne regarde pas l’effet isolé de l’activité d’une entreprise (il peut y avoir d’autres effets que celui lié à l’activité de l’entreprise).
C'est bien une des limites de cette approche (qui manque de conséquentialisme!), qui ne raisonne pas par rapport à la situation contrefactuelle la plus probable en année N mais par rapport à la situation précédente en année N-1.
Par exemple, si "l'engagement" de l'entreprise avec ses clients (au travers de son activité) ne se traduit pas explicitement par une baisse de l'intensité carbone des produits ou services vendus par l'entreprise cliente, cet "engagement" ne sera pas considéré (ici) comme étant bénéfique (alors même qu'en pratique il a pu l'être en contribuant par exemple à une moindre augmentation des émissions).
Ou encore, une baisse de l'intensité carbone des produits ou services vendus par l'entreprise cliente peut être due à des facteurs externes à ceux de l’entreprise étudiée.
Cette approche s’apparente donc à un conséquentialisme de la règle (plutôt qu’à un conséquentialisme pur jus -qui s’interrogerait sur l’impact réel de l’action d’une entreprise sur ses clients), au sens par exemple où passer d’un client carboné à un client moins carboné entre l’année N-1 et N se traduira positivement d’un point de vue comptable (on considère la règle comme bonne), alors même que les bénéfices pourraient être limités (par exemple, si une autre entreprise venait à prendre la place laissée libre et servir la chaîne de valeur carbonée).
Une manière possible de corriger cela serait la suivante : englober l’ensemble des clients (anciens et nouveaux) dans le scénario de référence (la situation précédente) pour capter également l’évolution des émissions des clients qui ont quitté le portefeuille de l’entreprise étudiée.
Cela permettrait d’inciter les entreprises à s’engager avec leurs clients, plutôt que les quitter (ou désinvestir pour un investisseur), sans bénéfice nécessairement réel pour le climat.
C’est analogue à la proposition faite dans la Net-Zero Initiative (p45, rapport d’Avril 2020) d’englober les émissions directes des actifs cédés par l’organisation (ici on étendrait ce principe pas seulement aux actifs, mais aussi aux clients).
Une fois la situation précédente définie, le mécanisme de calcul des émissions en année N-1 et N est identique à celui du cas B2C.
Conclusion et prochaines étapes
Ce qui précède ne vise pas à ce stade (au moins en partie volontairement) à présenter précisément l’ensemble des règles de comptabilité du nouveau cadre conséquentialiste proposé : l’objectif est de poser les fondations d’une nouvelle approche de gestion et de comptabilité du carbone pour les entreprises.
En outre, s’agissant de réflexions quasi-exclusivement personnelles, j'ai très probablement omis certains éléments, oublié de clarifier certains, voire (et je ne l'espère pas) mis en avant des choses erronées ou non pertinentes.
Certaines questions restent ainsi pour partie ouvertes et à clarifier/statuer, et j’espère que le ton de l’article traduit plus mon enthousiasme à l’idée de partager mes réflexions, qu’un manque de modestie épistémique.
Il me semble néanmoins que le cadre général est posé, et que les éléments restant à trancher ne remettent pas en question l’intérêt de cette approche.
Même si elle souffre probablement de défauts (identifiés ou qui m'auraient échappé), l'approche proposée me semble fertile et être une meilleure alternative au paradigme actuel de comptabilité attributionnelle.
Et c’est bien ce qui compte car là aussi, dans le choix d'une théorie, il faut raisonner de manière …contrefactuelle.
Les prochaines étapes que j’identifie sont les suivantes :
Poursuivre et enrichir la proposition (en particulier le cas B2B),
Préciser la proposition méthodologique et la façon opérationnelle de la mettre en œuvre,
Fournir des cas d’études et exemples appliqués de mise en œuvre de cette méthodologie.
Continuer de montrer (pédagogie de long-terme) en quoi l’alternative conséquentialiste proposée répond à des problèmes insolubles des approches attributionnelles actuelles (GHG Protocol/SBT, NZI, etc.), et constitue de fait une meilleure alternative (ou de manière moins affirmative, faire un bilan coûts-bénéfices plus précis des alternatives concurrentes).
Qu'est-ce qui change par rapport à l'approche attributionnelle actuelle?
Beaucoup de choses changent avec cette nouvelle approche, voici une liste non exhaustive des principales évolutions :
On raisonne enfin en termes d'impact carbone d'une entreprise. Les émissions scope 1 à 3 ne correspondaient pas à des émissions générées par une entreprise (au sens conséquentialiste de la variation d'émissions mondiales causée par l'activité d'une entreprise).
Il y a un retournement de perspective et d’objectifs : une entreprise ne doit plus chercher réduire « ses émissions” (comptées de manière attributionnelle), comme cela est répété depuis presque le début de la comptabilité carbone : ça n’est ni la finalité pour l’ensemble des entreprises ni la bonne façon de faire d’un point de vue théorique. La maxime "compter pour savoir, savoir pour agir, agir pour réduire" prend enfin tout son sens : compter pour réduire, oui, …. mais réduire ce qui compte !
Ce sur quoi porte les objectifs de réduction a donc complètement changé : il ne s'agit plus des émissions scopes 1 à 3 (en absolu ou intensité, les deux approches étant problématiques), mais les émissions d'un scénario de référence mouvant dans le temps (la situation précédente).
Ce nouveau paradigme permet de résoudre le triangle d’impossibilité déjà plusieurs fois évoqué : l’approche proposée garantit un respect des budgets carbones globaux, une transition efficace (où les acteurs les plus vertueux -ceux avec l’intensité carbone la plus faible- ne sont pas pénalisés) et prend acte du fait que l’on ne peut pas prévoir l’avenir avec exactitude.
Il n’y a plus d’approche distincte baisse des émissions scopes 1 à 3 (le pilier A de la NZI -émissions dites à tort induites, basée sur une comptabilité attributionnelle) et hausse des émissions évitées (le pilier B de la NZI, basé sur une comptabilité conséquentialiste -dont on ne dit d’ailleurs rien sur les émissions “augmentées”, i.e contraires d’évitées) : on prend acte du fait qu’une telle approche mène à une impasse. Ce qui compte, c'est la variation d'émissions induite par l'activité d'une entreprise.
On ne cherche plus à "attribuer" ou allouer des émissions à une entreprise (même de manière bancale)
Finies les discussions (en un sens inutiles) sur les règles d'allocation des émissions par entreprise! Par exemple, la proposition que j’ai faite sur la comptabilité carbone des services vendus (qui a au moins eu le mérite de servir indirectement cette nouvelle proposition) … devient sans intérêt pratique!
Et si on ne le fait plus, ça n'est pas par paresse; … c'est en raison du fait que les émissions attributionnelles scopes 1 à 3 ne sont pas le bon indicateur de pilotage carbone pour les entreprises.
On raisonne de manière systémique et contrefactuelle, là où précédemment on faisait abstraction de l'environnement dans lequel s'inscrivaient les produits et services vendus par une entreprise (pour compter les émissions scopes 1 à 3). On ne se souciait par exemple pas du fait qu'un produit ou service pouvait être vendu en remplacement d'un autre.
La comparaison entre pairs et autres acteurs économiques devient clé, et est à la base d'une évaluation d'impact simplifiée.
On s'interroge maintenant beaucoup plus sur l'aval de la chaîne de valeur des entreprises et l'utilité des produits ou services vendus (quels sont leurs clients?), là où dans l'approche actuelle, l'analyse de l'aval est limitée dans son champ de vision (logistique aval, utilisation des produits vendus, etc.).
En particulier dans le cas de ventes en B2B. C’est tout à la fois une force (meilleure traçabilité, connaissance de sa chaîne de valeur, exposition aux risques climatiques, etc.) et faiblesse (pratique principalement, du fait des difficultés éventuelles à connaître l’ensemble des filières aval).
L'effet rebond et l'effet de report de consommation sont appréhendés dans cette approche, ce qui est une nouveauté (dans les cadres conséquentialistes actuels -type méthodologies de calcul des "émissions évitées", il était tout au plus évoqué sans être pris en compte).
Aussi, le fait de regarder l'intensité carbone monétaire (qui peut être reliée à l’évolution de la consommation finale) plutôt que physique permet de prendre en compte une partie de l'effet rebond (puisque celui-ci est principalement lié à un gain de pouvoir d'achat).
Le reporting carbone prend maintenant une tout autre forme. Une entreprise ne doit maintenant plus reporter son bilan carbone seul (ou émissions scopes 1 à 3) -pour l'ensemble des raisons déjà évoquées, mais la variation d'émissions de la situation précédente, calculée suivant la méthodologie proposée dans cet article.
A noter que cela ne veut pas dire qu’il n’est plus pertinent de mesurer les émissions de ses déplacements domicile-travail par exemple, et de chercher à les réduire. En revanche, l’engagement carbone d’une entreprise ne sera plus jugé à l’aune de l’évolution des émissions (en absolu ou intensité) de tels postes d’émissions.
De même, un corollaire est que la proposition ci-contre ne signifie certainement pas que les entreprises ne doivent pas chercher à réduire les émissions de tels postes. En revanche, à nouveau, ce n’est pas (plus) la finalité, du fait des raisons exposées précédemment.
L'intensité carbone du produit ou service vendu englobe la totalité des coûts relatifs au produit ou service (et pas seulement ceux qui apparaissent dans les comptes de l'entreprise, comme c'est le cas lorsque l'on calcule l'intensité carbone monétaire en kgCO2eq/€ de CA).
Eléments de réponses (à date) aux questions et remarques possibles :
La proposition est trop complexe et impossible à mettre en œuvre en pratique :
Notons déjà que la formule de calcul des émissions de la situation précédente dans le cas B2C tient en une ligne (on est donc a priori loin d’une complexité insurmontable, en théorie du moins).
Dans ce nouveau paradigme, la comparaison devient centrale, là où actuellement beaucoup rechignent à comparer (pour des raisons plus ou moins valables)
Dans le cadre actuel attributionnel, il n'y a en effet aucune métrique pleinement pertinente et adaptée à la comparaison. J'en ai déjà parlé sur ce blog à plusieurs reprises (ni l'intensité carbone monétaire ni les émissions absolues ne sont satisfaisantes -les secondes en particulier).
A court terme, il peut y avoir des limites d'ordre pratique liées à la difficulté à obtenir des benchmarks et éléments de comparaison, ou à avoir une vision suffisamment précise de l'aval de la chaîne de valeur. Pour autant, ces difficultés pratiques ne me semblent pas rédhibitoires. Et ces difficultés ont même tendance à décliner je pense, en raison de l’appropriation croissante de la comptabilité carbone / ACV (dont la dynamique de l’affichage environnemental des produits), et avec la multiplication des données récoltées (Big et Open Data).
Enfin, ce que l'on perd en complexité supplémentaire ici, on le gagne également ailleurs : par exemple, les problèmes récurrents d'allocation des émissions dans l'approche attributionnelle actuelle disparaissent maintenant très largement.
Le modèle conséquentialiste proposé est très simplifié et ferait probablement sourire certains économistes : on pourrait donc également rétorquer qu’il est … insuffisamment complexe. L’argument clé étant qu’à mon sens, la balance complexité/mesure d’impact penche largement en faveur de ce modèle conséquentialiste (en comparaison au cadre attributionnel actuel)
Le problème de l'additionnalité est rédhibitoire.
L’une des originalités de l’approche a trait au fait que le niveau d’additionnalité introduit (ou d’impact) pourrait être qualifié de “faible” : on regarde simplement les conséquences et le contexte de la vente de produits d’une entreprise, sans se demander "véritablement" ce qui se serait passé sinon. Le conséquentialisme introduit porte sur la substituabilité de produits d'un même marché, et sur un élargissement du scope de comptabilité carbone (on regarde davantage la chaîne aval dans laquelle s'inscrit un produit). Il ne s'agit donc pas de pur conséquentialisme au sens où on ne réalise pas un calcul différentiel standard entre la situation la plus probable en l'absence de l'entreprise et la situation avec l'entreprise.
C’est tout à la fois une force (d’un point de vue pratique : cela simplifie l’approche) et une faiblesse (on ne regarde pas le scénario le plus probable qui aurait eu lieu en l’absence de l’entreprise). C'est une faiblesse car au sens de la théorie proposée, la situation précédente peut avoir augmenté alors même que la "situation la plus probable en l'absence de l'entreprise" (en année N) aurait été plus élevée. C'est un point qui pourra être creusé dans le futur.
En particulier, on raisonne en termes d’impacts de produits / chaînes de valeur différentes, mais au-sein d’une chaîne de valeur donnée on ne regarde pas spécifiquement l’impact de ses différents acteurs.
Nous avons simplement introduit un peu de conséquentialisme dans un nouveau cadre, l'actuel étant attributionnel par nature.
Plus d’objectifs de réduction, que faire pour une entreprise ?
Les objectifs SBT peuvent toujours exister mais sous une forme bien différente. Une entreprise peut toujours se donner un objectif de baisse de X% par an suivant l’approche proposée : une différence fondamentale par rapport au cadre attributionnel tient au fait que le scénario de référence est mouvant et pas statique (e.g les émissions attribuées à l’entreprise en 2019). Une entreprise peut également se donner des objectifs en intensité ou valeur absolue, mais ils seraient secondaires (indicatifs) par rapport au but premier qui est de réduire les émissions de la situation précédente de X% par an. Ce sur quoi doit être jugée une entreprise dorénavant, c’est son impact sur le climat.
Dans le cadre proposé dans cet article, il n’y a donc qu’un seul objectif puisse se donner (quelque soit son secteur, ses caractéristiques, etc.) : celui d’une baisse de X% de sa situation précédente par an (cela pourrait être Y% en fonction du niveau d’ambition). Au-delà du fait que la définition d’un tel objectif est maintenant pertinente (ce qui était l’objectif principal), cette définition est également simplifiée par rapport à l’initiative SBTi par exemple, dans lequel il y a un grand nombre de variantes possibles (baisses des émissions en absolu ou intensité, possibilités d’exclusions, de distinctions entre postes d’émissions, d’engagements fournisseurs ou clients, etc.).
Trop tard, impossible de revenir en arrière.
Pas un bon argument, la lutte contre le changement climatique ne fait que commencer et va durer des dizaines d’années (ou plus), et l’approche actuelle mène à une impasse.
La proposition contenue dans cet article bouscule tellement de pratiques solidement ancrées dans les habitudes que je crains qu’elle ne puisse être rejetée en raison du biais de statu quo. Si cette proposition doit être critiquée (et j’espère qu’elle le sera), puisse-t-elle l’être sur la base d’arguments de fond et éviter les raisonnements motivés !
En laissant la possibilité à des entreprises d’augmenter “leurs émissions” de GES, on court le risque de ne pas respecter nos engagements climat.
Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, et ça tombe bien, j’en ai déjà dit beaucoup sur la question, donc à vrai dire au terme de cet article et des précédents, on ne devrait plus vraiment se la poser !
En quelques mots, parce que répéter ne fait jamais de mal : les “émissions” d’une entreprise (scopes 1 à 3) sont une conceptualisation comptable, qui ne traduit pas l’impact carbone d’une entreprise, au sens de la variation d’émissions mondiales induites par l’activité d’une entreprise. Ce qui compte pour le climat n’est donc pas la variation de ces “émissions” par entreprise.
La proposition faite prend précisément pour point de départ/règle un respect des budgets carbones mondiaux (ce que ne permet pas une approche type SBT, qui mélange des objectifs en intensité et absolu), à quoi on a rajouté une condition d’efficacité économique, critère indispensable de succès de la transition bas-carbone.
Il est donc vrai que dans le nouveau cadre conséquentialiste, les « émissions » attribuées à une entreprise peuvent augmenter … mais on s’en fiche puisque ça n’est pas l’indicateur pertinent !
S'agit-il d'une meilleure alternative à l'approche attributionnelle actuelle ?
C'est LA question importante à se poser. On voit que si l'alternative conséquentialiste proposée dans cet article résout certains problèmes (elle constitue principalement une réponse au théorème d'impossibilité), elle soulève également de nouvelles difficultés (principalement relatives à l’évaluation de la situation précédente et à la définition de comparaisons pertinentes). La balance coûts-bénéfices de chacune des alternatives devrait pouvoir nous aiguiller. Mon point de vue sur la question est le suivant (mais je suis certainement biaisé, étant l'auteur de cette proposition) : la théorie attributionnelle actuelle souffre de graves lacunes ; elle ne dit rien de l'impact carbone d'une entreprise et ne constitue pas le bon outil de pilotage de décarbonation pour une entreprise. Les difficultés de l'approche conséquentialiste me semblent être très largement contrebalancés par les gains qu'ils procurent.
Difficile à mettre en œuvre en pratique
Il s’agit à mon sens de la critique (pratique) la plus juste : en effet, une des limites pratiques à l’approche proposée est le fait de devoir disposer d’informations raisonnablement fiables sur les benchmarks pertinents et sur les dynamiques de marché à l'œuvre. A très court-terme, il y a en effet très probablement des manquements pour pouvoir déployer de manière complètement satisfaisante ce nouveau cadre.
Il s’agit clairement d’une potentielle difficulté pratique de cette approche. Néanmoins, un certain nombre de benchmarks et statistiques sont d’ores et déjà relativement accessibles (émissions liées à la consommation finale, volume de consommation finale exprimé en €, intensités carbone moyennes d’un certain nombre de secteurs, etc.), et par ailleurs l’extension en cours de la comptabilité carbone des produits (ACV, affichage environnemental, PEF, etc.) les perspectives offertes par le l’analyse et le traitement de données à grande échelle me font penser que les éventuels blocages pourraient rapidement être levés.
Enfin, je conclurais en disant que si nous parvenons à nous accorder sur la supériorité théorique de ce nouveau cadre conséquentialiste, en comparaison des autres, … alors une grande étape aura été franchie !
Je dirais même qu’une première étape pour juger de la réussite de cette proposition serait de réussir à recentrer le débat sur la distinction comptabilité attributionnelle / conséquentialiste, puisque ce débat est très peu présent à mon goût dans les discussions.
Bonjour, l'objectif est bien que les émissions (mondiales et de la "situation précédente") baissent en valeur absolue. Donc en cas de croissance de l'économie et si les ventes d'une entreprise se rajoutent / s'empilent à celles d'autres entreprises, alors cela ne se traduira pas par une baisse des émissions, au contraire. En revanche, par exemple, à consommation totale constante, si une entreprise vend plus de produits moins carbonés que la moyenne, alors les émissions mondiales baisseront, ainsi que les émissions de la "situation précédente" de l'entreprise.
Bonjour, votre exemple montre bien que les raisonnements calculatoires n'ont pas grand chose à voir avec la physique puisqu'il arrive à dire que 100 tCO2 réel en plus dans l'atmosphère constitue un progrès sectoriel de -35% sous prétexte qu'il substitue une croissance "vicieuse" d'un secteur à intensité carbonée forte par une croissance plus "vertueuse"... A force de tordre le sens des % on n'y comprends plus rien et on comptera nos gains vertueux sur les grains de sable du désert climatique auquel que ce type de raisonnement nous mène !